Plus sérieusement, 1984 s'annonce comme une année d'affrontements politiques épineux. En février, le peuple et les cantons doivent se prononcer sur trois objets fort disparates, mais dont chacun suscite, à sa manière, les passions. D'abord, les auteurs d'une initiative constitutionnelle leur proposent d'accepter enfin l'objection de conscience : il suffirait, pour échapper au service militaire, de s'enrôler dans un service civil, qui, afin de dissuader les simples tire-au-flanc, serait une fois et demie plus long. Les arguments humanitaires et pacifistes, cependant, ne font pas le poids : l'attachement des citoyens à l'armée de milice, les orages aussi qui planent sur le monde, conduisent à l'échec du projet par 62 % des suffrages exprimés.

Écologie et finances

En revanche, le souverain fait au Conseil fédéral un cadeau : il accepte deux impôts nouveaux sous la forme d'une taxe sur les poids lourds et d'une vignette obligatoire pour emprunter les autoroutes. Mais ce résultat fait apparaître une coupure. En Suisse comme dans de nombreux autres pays, les forestiers commencent à donner l'alarme. Des dizaines de milliers d'arbres dépérissent et se meurent. Aux yeux de nombreux experts, les gaz d'échappement des voitures sont, pour une part importante, la cause de ce mal. Inquiets, les Alémaniques, en majorité, ont approuvé taxe et vignette dans lesquelles ils ont vu des moyens de décourager le trafic automobile et de financer la protection de l'environnement.

Les cantons romands, eux, ont unanimement dit non, et se retrouvent majorisés. Ils grognent fort. Sous prétexte de sauver les forêts, disent-ils, l'État fédéral s'arroge de nouvelles recettes, prend des mesures tracassières contre les conducteurs, nuit au tourisme, isole la Suisse des pays qui l'entourent, et d'ailleurs mérite les protestations que feront entendre Bruxelles et Bonn contre ces entraves à la circulation européenne.

Le 24 avril, intermède tragi-comique, les autorités de la RFA remettent Harald Nägeli, dont elles ont accepté l'extradition, entre les mains de la justice zurichoise. Ce personnage est un anarchiste d'une espèce inoffensive, et pourtant... Armé d'un vaporisateur, des mois durant, il a parcouru Zurich la nuit et sprayé les façades qui s'y prêtaient. À chaque aube apparaissaient de nouveaux personnages étranges et beaux. Reconnu comme un authentique artiste, H. Nägeli n'en était pas moins traqué. Enfin, la police a mis la main sur lui. Atteintes répétées à la propriété : neuf mois de prison ferme.

Le « non » des épargnants

Le Parti socialiste suisse essuie en mai un échec sans phrases. Son initiative sur les banques, qui devait obliger les établissements financiers et les gérants de fortune à mieux renseigner le fisc et les tribunaux sur leurs affaires, ne recueille que 27 % des suffrages exprimés. Manifestement, les petits et moyens épargnants ont fait bloc pour refuser à l'État de nouveaux moyens d'investigation dans ce qu'ils considèrent comme leurs affaires, leur jardin, leur liberté.

De justesse, le souverain repousse un autre projet. Pour lutter « contre le bradage du sol national », l'Action dite « nationale », justement, avec le paradoxal appui du Parti socialiste, proposait l'interdiction de toute vente d'immeubles à des étrangers. Une législation de plus en plus restrictive freine et limite ces opérations, et protège déjà les villes ou les stations de tourisme contre le gonflement artificiel de la construction. Inutile, juge le corps électoral non sans hésitation, d'aller encore plus loin.

En juin, le pape Jean-Paul II fait une longue visite pastorale — une semaine — à la Suisse. Le Conseil fédéral in corpore le reçoit près de Berne. À Genève, à Fribourg, à Einsiedeln, au Flüeli (terre de saint Nicolas de Flue), au Tessin, le souverain pontife rassemble des foules qu'on ne peut qualifier d'immenses, mais certainement de ferventes, et prononce des paroles très fortes sur les obligations d'un peuple riche, envers les réfugiés qui lui demandent l'asile.

Encombrante valise

Les bostryches qui ravagent les forêts font, en juillet, une nouvelle victime : l'ULM, l'avion ultraléger motorisé, que le Conseil fédéral interdit. Cette décision tombe après des mois d'attente, essais, discussions, expertises. Elle ne touche directement qu'une très petite partie de la population (tout le monde ne peut pas s'offrir un ULM), mais elle prend une considérable importance politique. On sait désormais qu'au sein du collège gouvernemental un homme au moins, le conseiller fédéral Alphons Egli, tentera de pousser plus loin l'offensive contre la pollution par les gaz, et que de sévères limitations de vitesse pendent au nez des conducteurs. Mesure nécessaire, vitale, urgente ? Ou « terreur verte » abusivement exercée par les écologistes ? La polémique s'amplifie tous les jours.