Le général Kiessling réplique, dès que l'affaire est connue, dans les premiers jours de janvier, en assurant qu'il n'est ni homosexuel ni client des bars en question et que le rapport de la sécurité militaire qui l'accable est mensonger ou erroné. Le ministre, de son côté, insiste, s'enferre. On découvre finalement que l'accusé a un sosie — qui, sous le nom de Jürgen, hante bien, lui, les boîtes de nuit spéciales de Cologne — et que, par ailleurs, le général Rogers, patron du général Kiessling, entretenait avec ce dernier des rapports fort peu cordiaux. L'opposition social-démocrate et les Verts se saisissent de l'affaire, et, après un débat houleux au Bundestag, l'officier est réhabilité. Il prend très officiellement sa retraite fin mars, avec tous les honneurs dus à son rang, au cours d'une cérémonie pour le moins embarrassée à laquelle assistent M. Wörner, qui lui a fait des excuses, et le général Rogers... L'affaire pourrait n'être qu'une bien fâcheuse bévue, si, comme toujours en Allemagne, elle ne donnait naissance à un débat sur des questions de fond : les méthodes d'investigations de la sécurité militaire (MAD) sur la vie privée de libres citoyens, l'obsession de l'espionnage de l'Est, le comportement du ministre aussi, sur lequel circulent pendant quelque temps des rumeurs qui n'ont rien à envier à celle dont le général Kiessling a failli être victime. Et, bien que H. Kohl ne se sépare pas de son responsable de la Défense, l'affaire laisse l'impression d'un grave faux pas politique.

Le scandale Flick

Mais une autre épreuve attend le chancelier : son ministre des Finances, le comte Lambsdorff, figure de proue du libéralisme ouest-allemand, fait l'objet d'une enquête judiciaire sur les dégrèvements fiscaux qu'il aurait consentis au groupe Flick moyennant d'importants subsides à son parti le FDP. L'affaire remonte aux années 70, c'est-à-dire à une époque où O. Lambsdorff appartenait à un gouvernement de coalition social-démocrate et libérale ; mais elle n'en éclabousse pas moins, et fort gravement, le cabinet actuel. Les accusations se précisent. Le ministre est officiellement inculpé, le procès va s'ouvrir : cette fois-ci, la démission semble inévitable. Elle est annoncée en juin. Martin Bangemann, considéré comme un enfant terrible du FDP pour ses prises de position souvent à contre-courant, lui succède. Avant, peut-être, de remplacer H.-D. Genscher à la tête du parti libéral en 1985.

Déjà atteint par ces premiers développements de l'affaire Flick, H. Kohl n'en sera cependant pas quitte pour autant. Le scandale va connaître plusieurs rebondissements spectaculaires. Une commission d'enquête parlementaire entend à deux reprises le président chrétien-démocrate du Bundestag, Rainer Barzel. Et celui-ci, tout en continuant à nier avoir eu le moindre contact avec le célèbre groupe industriel et son tout-puissant fondé de pouvoir, Eberhard von Brauchitsch, ne convainc pas ses collègues parlementaires et doit démissionner fin octobre.

La chute de R. Barzel est beaucoup plus qu'une simple péripétie parlementaire. Sans doute ses amis politiques espèrent-ils que le sacrifice du président du Bundestag permettra de clore enfin cet épineux dossier. Mais, bien qu'aussitôt remplacé à la tête de l'Assemblée par Philip Jenninger, homme de confiance du chancelier, R. Barzel laisse désormais le chef du gouvernement en première ligne. La comparution de H. Kohl devant la commission d'enquête parlementaire, en novembre, se passe, il est vrai, plutôt mieux qu'on ne s'y attendait. Et, si l'opposition verte et social-démocrate ne ménage pas ses attaques contre les liens décidément bien voyants qu'entretiennent les dirigeants de la CDU avec les milieux d'affaires, qui contribuent à subventionner le parti chrétien-démocrate, du moins certains d'entre eux estiment aussi — tel le dirigeant écologiste Otto Schily — qu'au total la démocratie allemande sort plutôt renforcée de pouvoir librement débattre de telles affaires. Il n'empêche : le scandale Flick aura été le chemin de croix du chancelier.