Deux équipes, l'une française, l'autre américaine, se disputent âprement la paternité de la découverte du virus du SIDA, et la fabrication d'un vaccin, si elle n'est pas exclue à terme, exige au préalable de longues expérimentations animales puis humaines. Des progrès décisifs ont cependant été effectués depuis trois ans dans la compréhension de cette maladie, au fil d'une quête qui a défrayé la chronique.

Populations à risque

L'augmentation des cas de SIDA recensés en France durant les six premiers mois de l'année est préoccupante. Au 15 juillet dernier, le nombre des malades se chiffrait à 180, dont 66 déclarés uniquement au cours du premier semestre. Progression comparable à celle enregistrée aux USA, puisque 1 956 nouveaux cas ont été recensés dans ce pays pendant ce semestre, portant le nombre total des malades américains à 5 037 depuis l'apparition du SIDA en 1981.

L'analyse fine des statistiques révèle toujours la même constitution de populations à risque : 71 malades américains sur 100 sont des hommes, homosexuels ou bisexuels changeant fréquemment de partenaires, 17 % sont des toxicomanes utilisant la voie intraveineuse. Les autres facteurs de risque étant l'origine haïtienne (5 % des cas), l'hémophilie (1 %), les rapports hétérosexuels avec des sujets eux-mêmes à risque (1 %) et les transfusions sanguines (1 %). Il faut y ajouter des enfants provenant de familles où l'un des parents est toxicomane, ou né à Haïti, d'autres enfants ayant reçu des transfusions sanguines, ainsi que des nourrissons dont les mères étaient toxicomanes ou atteintes du SIDA.

Toutes ces données ont rapidement constitué de très puissants arguments établissant que le SIDA est une pathologie due à un agent transmissible. Constat qui explique l'ampleur des répercussions socioculturelles de cette maladie aux USA.

Après la libéralisation sexuelle des années 70, on a enregistré une remontée des préjugés anti-homosexuels. Les sujets atteints de SIDA supportent, en plus des craintes dues à leur maladie, le poids de discriminations que l'on croyait révolues. Les mêmes problèmes se posent pour les Haïtiens émigrés aux USA qui trouvent dorénavant plus difficilement du travail ou un logement. Aussi de nombreuses associations ont-elles vu le jour, qui apportent aux malades une aide médicale, financière et morale. Elles ont grandement contribué à un effort de recherche qui se chiffre déjà à plus de 75 millions de dollars. Les pays européens, pour leur part, qui ont enregistré les cas de patients dont un certain nombre s'étaient rendus aux USA ou à Haïti, après la mise en place spontanée du Groupe de travail français sur le SIDA, en 1982, ont choisi en 1983 de créer, à l'hôpital Claude-Bernard à Paris, un centre de référence de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) pour le SIDA, qui a pour mission de recenser les cas diagnostiqués en Europe et de coordonner la circulation des informations sur cette maladie. Décision qui témoigne de l'effort accompli par les chercheurs français.

Le contrôle des transfusions

La mise à jour de la transmission du SIDA par voie sanguine a révélé l'ampleur des problèmes que pose l'organisation actuelle du marché international du sang. L'Institut Pasteur Production a ainsi été mis en cause au printemps 1983. Prenant de vitesse les Américains, il a commercialisé dès le mois de juin 1981 le premier vaccin anti-hépatite B, fabriqué avec du plasma obtenu auprès de donneurs ayant eu cette maladie, car son virus n'a pas encore pu être cultivé en laboratoire. Pour faire face à la demande internationale, l'IPP acheta de grandes quantités de plasma sur le marché américain en 1982, quand les scientifiques ignoraient encore que le SIDA peut aussi se transmettre par voie sanguine. Or aux USA, contrairement à la France, les donneurs sont rémunérés, et nul ne sait si certains d'entre eux n'avaient pas contracté le SIDA. Et on ignore si les méthodes drastiques de lavage du plasma éliminent totalement le vecteur de cette maladie. À la lumière de cet incident, le secrétariat d'État à la Santé devait recommander en 1983 d'écarter des dons de sang tous les sujets à risque. Enfin compte tenu de l'augmentation des cas de SIDA enregistrés en France, on ne peut exclure, à terme, l'instauration d'un dépistage systématique, à partir des données virologiques aujourd'hui connues.

L'Afrique et son secret

Lors d'un colloque organisé du 10 au 12 octobre 1983 à Paris par l'Association pour la recherche sur le cancer, on a constaté que, si la prédominance de la vulnérabilité masculine était évidente, 12 femmes malades avaient été dénombrées à cette époque en France, dont 11 Africaines ou Haïtiennes, et une seule Française. Le cancer de Kaposi, qui accompagne ou constitue la phase terminale du SIDA, est connu en Afrique depuis 1872. Si on le trouve à l'état endémique au sud du Sahara, il présente dans ces pays des aspects particuliers, pouvant se traduire chez l'enfant africain par des lymphomes à évolution fulgurante. Certains chercheurs, surtout américains, ont émis l'idée que l'Afrique équatoriale — et notamment le Zaïre ou l'Angola — recèle peut-être la clé de l'épidémie qui frappe l'hémisphère Nord. Spéculant sur l'existence d'un ancêtre du virus chez le cheval et le singe, qui aurait pu contaminer l'Amérique et Haïti par le biais du trafic des esclaves.

Responsable : un virus

Après de nombreux tâtonnements, l'hypothèse d'une maladie due à un agent viral, donc transmissible, a été acceptée dans le courant de l'année 1983 par l'ensemble de la communauté scientifique, après les découvertes respectives des équipes française et américaine qui se sont livrées à une véritable lutte scientifique, chacune ayant identifié un ou des virus qui semblaient jouer un rôle important dans l'apparition de la maladie.