Car la gauche a perdu. De bons esprits qui l'ont combattue se sont montrés conciliants par la suite ; ils ont affirmé que cette querelle avait été nécessaire pour faire évoluer les esprits. Certes, mais la gauche a connu une défaite dont les conséquences demeurent imprévisibles. Pour comprendre comment le débat a pu atteindre ce paroxysme, le rappel de quelques faits s'impose.

À Paris. Quand, en janvier, A. Savary présente de nouvelles propositions, la titularisation des maîtres du privé — le point le plus délicat du dossier puisqu'il apparaît comme une fonctionnarisation — cette titularisation est renvoyée au-delà d'une période de six années. Toujours inquiet, l'enseignement catholique répond en acceptant de négocier, mais il « appuiera ses positions » par cinq manifestations régionales. La dernière, la plus massive, la plus démonstratrice, rassemble plus d'un demi-million de personnes le 4 mars à Versailles. Jacques Chirac, Bernard Pons, Michel Debré, Claude Labbé, Jacques Toubon, Alain Peyrefitte sont là ; ils n'ouvrent pas le cortège et se taisent. Mais ils dissimulent mal leur impatience : la prochaine fois, à Paris !

Pourtant, la perspective d'un « point d'équilibre » subsiste. Le président de la République, le ministre de l'Éducation nationale, les évêques laissent entrevoir la réconciliation historique.

Le 18 avril, le Conseil des ministres adopte le projet de loi Savary. C'est un texte de compromis. Il contient les points d'accord avec l'enseignement catholique (carte scolaire, gestion prévisionnelle des postes). Il remet au soin d'un décret ultérieur la titularisation des maîtres ; il prévoit, en revanche, que l'État se substituera aux communes défaillantes pour assurer le fonctionnement des écoles privées.

Les laïques sont furieux. Le Comité national d'action laïque (CNAL) riposte en rassemblant dans les chefs-lieux de département, le 25 avril, un million au total de défenseurs de l'école publique et de la laïcité.

Les catholiques sont divisés. Les responsables des parents d'élèves de l'Ouest, du Nord, de Paris, veulent en découdre. Le président de l'UNAPEL, Pierre Daniel, tient bon ; il risque et réussit sa réélection, à la veille du débat parlementaire. Il a lancé une campagne d'affichage avertissant que tout amendement entraînerait le rejet du projet de loi. Ce qui laisse entendre que, sans autre amendement, il n'en sera rien. Pierre Daniel et son équipe essuient le reproche de trahir. Le chanoine Guiberteau, secrétaire général de l'enseignement catholique, a pris, lui, plus de distance et se montre plus critique.

Le feu aux poudres

Déjà, avant le Conseil des ministres du 18 avril, le cardinal Lustiger a cru bon de mettre en garde le gouvernement et de « dire non à un processus de titularisation ». L'admonestation pèse lourd. Le chef de l'État y décèle une brèche dans la volonté conciliatrice de l'épiscopat. Aussi, le climat n'est-il pas bon au seuil de l'examen du projet de loi par les députés, le 21 mai. L'orage se déchaîne quand, le lendemain, le gouvernement accepte des amendements socialistes suscités par les plus intransigeants des laïques. L'aide des communes aux écoles privées sous contrat d'association sera subordonnée au nombre de maîtres qui accepteront la titularisation.

François Mitterrand laisse faire. Lui qui scrutait, stylo en main, tous les textes de M. Savary sur ce sujet semble n'avoir pas bronché !

Dès lors, la manifestation nationale est inévitable. Elle a lieu le 24 juin.

La nouvelle donne

Peu importe que les intentions prêtées au projet de loi aient pris le pas sur ses intentions réelles. La gauche n'a pas su convaincre l'opinion du bien-fondé de sa position. Pragmatique, préoccupé par le blocage des institutions que préparaient les manœuvres du Sénat où l'opposition est majoritaire, F. Mitterrand a retiré le texte le 12 juillet. Cinq jours plus tard, A. Savary, désavoué de fait le 22 mai par l'irruption des amendements extrémistes, mais n'ayant pas voulu compromettre la cohésion gouvernementale à l'approche du scrutin européen, démissionne.