Venant après le romantisme et la poésie de Savignac, ce film de 45 s (avec une version de 72 s), conçu par Richard Raynal, a été réalisé en Australie et aux États-Unis avec un budget de 3 millions de francs par RSCG.

« 1984 »

Le choc, l'événement créatifs seront tout de même venus d'outre-Atlantique. Avec un film réalisé pour l'ordinateur Mackintosh d'Apple, une petite agence californienne, Chiat Day, aura repoussé encore un peu plus les limites souvent frileuses que s'assignent les campagnes publicitaires.

Le film met en scène une infernale salle de projection où un public atrophié intellectuellement et abruti d'idéologie regarde, subjugué, le message de la Force. On aura bien sûr compris la référence explicite au 1984 d'Orwell.

Mais, dans les travées de cette salle obscure, surgira une jeune femme portant un tee-shirt Apple, poursuivie par les forces de l'ordre. Elle fera exploser l'écran géant en lançant une masse et provoquera un choc qui libérera les consciences cimentées. Accroche : « En 1984, Apple introduira l'ordinateur Mackintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne sera pas comme 1984. » Une réalisation superbe de Ridley Scott, un coût de production de quelque 7 millions de F (la moyenne française est d'environ 700 000 F), et un étonnant renversement de concept.

Menant une âpre lutte commerciale contre le géant IBM, Apple et sa petite agence californienne ont su s'emparer du concept de liberté pour « communiquer » un ordinateur, dernier-né de la technologie contemporaine.

Cette côte ouest des USA n'a d'ailleurs pas fini de surprendre. Terre promise de la vidéo, elle saura se rappeler à la mémoire de plusieurs agences. D'autant plus que, dès 1985, la Régie française de publicité devrait accepter la diffusion en vidéo des spots publicitaires.

La télé détrône la presse

L'activité publicitaire a quelque chose de diabolique. Si elle se laisse voir et s'exhibe sans retenue sur les écrans ou sur les murs des métropoles modernes, elle rythme sans le dire les développements ou les survies des grands médias. Elle transforme même leur nom. De magazine en télévision, le média devient support : support publicitaire.

Supports

La publicité aura, en cette année, remis au goût du jour les querelles qui opposaient Gutenberg et Mac Luhan. Manne financière, la publicité intervient sur les supports comme une fée bienfaisante ou cynique. En 1982, la progression des investissements publicitaires fut de 17 %. En 1983, les investissements publicitaires des annonceurs ont progressé de 12 %. Un chiffre qui, s'il n'atteint pas celui de l'année précédente, infirme malgré tout les prévisions pessimistes qui considéraient comme insurmontables la politique économique de rigueur et la « compression du pouvoir d'achat ». On avait craint un instant que le chiffre de 1978 (9,5 %) allait se répéter, et ce ne fut pas le cas. Mais c'est dans le détail que cette progression de 12 % pour 83 est intéressante. La place de la télévision est en effet de 24,5 % en cette année 1983 où FR3 s'est ouverte à la publicité. Pour la première fois, comme l'indiquait l'hebdomadaire Stratégies : « ... le total des recettes publicitaires de la télévision dépasse celui des magazines ». Le total atteint 3 600 millions de F pour la TV (contre 2 893 en 1982) alors que celui de la presse magazine passe à 3 520 millions de F (contre 3 270 en 1982). La presse magazine est détrônée en 1983, elle n'est plus le premier support français.

Annonceurs

L'année 1984 n'apportera guère de bouleversement dans ce panthéon financier des plus grands investisseurs. Exemples ? Pernod Ricard qui, au premier semestre 84, a fait un très gros effort en investissements publicitaires. Lancement de Brut de Pomme, continuation du lancement de Gold Ambassadeur et de Pernod Light, mise en place sur le marché de Sprite, campagne Ricard... auxquels s'ajoutent les tests d'Orangina à l'étranger. Des investissements publicitaires que Pernod Ricard n'hésite pas à qualifier d'« exceptionnels ». Quant à l'automobile, bien que les enveloppes budgétaires soient difficilement reconstituables sur un an, ce secteur reste un investisseur obligé à cause notamment du Salon de l'auto. La Régie Renault aura tout de même assuré le lancement de la Super Cinq avec un budget média de quelque 50 millions de F.

Rapprochement

Mais cette année publicitaire aura surtout été marquée par les grandes manœuvres internationales qui ont dévoilé les stratégies de certains groupes. Début octobre, la profession publicitaire a vu se réaliser un rapprochement spectaculaire : celui d'Eurocom et de Young & Rubicam. Toutes les agences Havas-Conseil et Marsteller (filiale à 100 % de Y & R) ont fusionné. Elles vont désormais composer HCM, une nouvelle entité qui pèsera la bagatelle de 500 millions de dollars. Havas-Conseil détiendra 51 % d'HCM en Europe et au moins 50 % aux USA. Le business international en a encore la tête qui tourne. Havas-Conseil, première agence française, atterrit ainsi dans le groupe des vingt premières agences américaines et pourra ainsi offrir à ses clients acquis ou potentiels toute une logistique internationale. De quoi faire rêver beaucoup, et de quoi exciter les convoitises, affûter les stratégies et ouvrir le marché hexagonal. L'année prochaine à la même époque, la France sera dotée depuis un an d'une 4e chaîne : Canal Plus. Et c'est cette chaîne qui servira de détonateur à tous les problèmes qui restent en suspens. Canal Plus c'est le sponsoring et, à terme, l'énoncé balbutiant des télévisions libres. L'année 85 s'annonce passionnante.

Gilles Heuré