Maria del Mar Bonet fait aussi partie du palmarès annuel de l'Académie Charles Cros qui couronne également Gilles Vigneault pour son dernier disque (Un jour je ferai mon grand cerf-volant), Jane Birkin (Fuir le bonheur avant qu'il ne sauve), Joan Baez pour l'enregistrement public de sa tournée européenne et l'Acadienne Edith Butler. Cette arrivée en force des dames dans la chanson ne fait que confirmer un courant amorcé auparavant. Auteurs et interprètes féminins de tous courants et de toutes expressions régénèrent le monde du spectacle qui ronronne sur son quant-à-soi. Au Printemps de Bourges, on peut découvrir Josée Moonens, jolie voix et répertoire solide, et se laisser bousculer par les sonorités provocantes de Nina Hagen, rockeuse punk dont les shows sont des spectacles sans cesse réinventés.

De même, à la fin du mois d'octobre, le congrès Femmes et Musique réunit, à Paris, musiciennes et interprètes de tous styles et de tous horizons, parmi lesquelles un chœur de femmes bulgares, dont les voix naturelles composent des harmonies du plus bel effet ; et la chanteuse israélienne Sara Alexander qui, sans renier ses racines est accompagnée d'un musicien palestinien, en signe de réconciliation, d'espoir et de paix. Le courage n'est pas la moindre qualité de nombreuses artistes, sur le disque comme sur scène...

Nostalgie et morosité

Certes, l'année a connu son débarquement habituel de tubes, mais ils ont en commun la nostalgie et la morosité : Laurent Voulzy et Véronique Jeanot, avec Désir, désir, égrènent un rébus qui ne fait pas rimer « amour » avec « toujours ». Louis Chedid, après Ainsi soit-il, pour le moins résigné, chante un cha-cha de l'insécurité, qui fustige les psychoses actuelles, tandis qu'Eddy Mitchell (Comme quand j'étais môme), qui investit le Palais des Sports sous la direction de Jérôme Savary, et Philippe Chatel (Quand j'étais p'tit) se penchent tendrement sur leur passé. La nostalgie de la jeunesse est à son comble au Zénith, à la mi-novembre, avec le nouveau spectacle de Johnny Hallyday, qui triomphe devant des milliers de fans de 40 ans accompagnés de leur famille. Johnny a bel et bien gagné. Philipe Lavil regarde du côté des Antilles (Jamaïcaine), tout comme Marc Lavoine (Pour une biguine avec toi), Yves Simon vers Barcelone. Et, si Serge Lama fait sa rentrée le 20 septembre, côté Corse, dans l'habit de l'illustrissime général Bonaparte, Bernard Lavilliers promène sa verve caraïbe sur une longue tournée, tandis que Francis Lalanne fait salle comble avec ses chansons d'en France. À la rentrée, Anna Prucnal-la-Polonaise fait de sereines retrouvailles avec le public parisien qui l'a fait reine plusieurs années auparavant. Et le Kabyle Karim Kacel parvient à crever le mur de l'indifférence sur les émigrés de la deuxième génération à qui il prête ses mots et son expérience d'exclu (Banlieue).

La chanson française n'a pourtant pas bonne mine, qu'elle soit entre les mains des « classiques » — Yves Montand sort un disque de chansons de David MacNeil, Françoise Giroud et Michel Jonasz — ou des « branchés » — Gotainer fait rire la France avec son Youki, France Gall faisant une rentrée remarquée dans la nouvelle salle du Zénith avec la production toujours efficace de Michel Berger (Débranche, Hong-Kong star).

Au rythme du temps

Oui, la chanson sent le besoin de se montrer et de changer de visage, de « look » (T'as le look, coco, chante avec succès Laroche-Valmont). Elle se montre à Sète, au mois de juin, pour les premières Journées Georges-Brassens, vouées à la pérennité d'un héritage. Ou encore au pied de la Sainte-Beaume, en Provence : au mois d'août, des professionnels viennent aider amateurs et débutants à démonter les mécanismes compliqués du spectacle chanté. Un métier acquiert ici sa dignité professionnelle. Tout comme au studio des Variétés, rue Ballu, à Paris, où les débutants peuvent approcher et assimiler les différentes disciplines de la scène. Ou encore au Casino de Paris, désormais sous la direction de Bernard Lavilliers : une école du spectacle et de la chanson y est installée, et l'hôte souhaite « qu'on y mélange les genres ».