Compositeur de l'été, Claude Ballif offre au Festival Estival son Dracoula (coproduit avec Metz), et Tours poursuit avec constance sa politique d'ouverture vers la musique contemporaine avec le Scieur de long d'Antoine Duhamel, tandis qu'à Strasbourg Jean Prodromidès mythifie Howard Hugues dans HH Ulysse. Une touche d'humour a l'American Center de Paris avec Réservé aux sopranes de Tom Johnson, un énorme éclat de rire à Turin où Azio Corghi s'inspire de Rabelais pour Gargantua, tandis qu'en Allemagne, après Philip Glass et Echnaton, à Stuttgart, c'est Aribert Reimann qui est l'honneur avec sa Gespenstersonate d'après Strindberg.

Deux événements, cependant, ont monopolisé l'attention du monde musical : la création, au palais des Sports de Milan, de Samstag aus Licht de Stockhausen, second moment d'un opéra qui en comprendra sept et dont la réalisation scénique était signée Luca Ronconi et Gae Aulenti, et surtout, beaucoup plus inattendu, la première mondiale au festival de Salzbourg de Un re in asceolto de Luciano Berio, un triomphe pour Lorin Maazel et ses interprètes, en tête duquel le grand Theo Adam.

La saison à Paris

La première saison de l'administration Bogianckino à l'Opéra de Paris a tenu ses promesses de façon bien imparfaite. L'Enlèvement au sérail (janvier/novembre) a captivé tous les admirateurs de Giorgio Strehler, mais déçu les amateurs de chant. Jérusalem (février) a effrayé les oreilles françaises et ce n'est pas la mise en scène inexistante de Jean-Marie Simon qui a pu redonner à cette mouture parisienne des Lombardi le moindre lustre. Dans Boris Godounov, Nicolai Ghiaurov a prouvé qu'il était encore le seul grand Boris de notre époque, depuis que Boris Christoff a quitté les scènes. Dernier événement avant l'été : les grèves sévères qui ont perturbé le mois de juin et causé l'annulation des cinq premières représentations du Tannhaüser décoré par Vasarely.

La saison 1984-85 s'est ouverte fin septembre avec les débuts au palais Garnier de Renato Bruson dans Macbeth, aux côtés de Shirley Verrett (une autre distribution offrait en alternance Franz Grundheber et Ghena Dimitrova, qui faisait, elle aussi, ses débuts sur cette scène). Deux reprises, le Chevalier à la rose (novembre) et Tosca (décembre) : l'une des plus grandes straussiennes du moment, Elisabeth Söderström, un couple de stars rayonnant, Luciano Pavarotti et Hildegard Behrens : trois soirées où le chant est roi.

Rien d'exceptionnel salle Favart : Didon et Enée (partageant l'affiche avec la création scénique de la Damoiselle élue de Debussy) sauvée par Jessye Norman de l'affligeante production du surestimé Nicolas Joël (mars) ; un Mariage secret traditionnel mais très homogène (avril/octobre) et, hélas, une Manon scandaleuse à tous points de vue dont il faut tout oublier — c'était pourtant le centenaire du célébrissime ouvrage de Massenet ! Fort heureusement, l'Étoile de Chabrier, venue de Lyon, a apporté un peu de fraîcheur dans toute cette banalité.

Le TMP Châtelet avait axé ses programmes sur l'opéra russe et, plus encore que la Khovanstchina, le fascinant Coq d'or de Rimski-Korsakov confié à une équipe japonaise, véritable éblouissement visuel, mérite d'être retenu. Une autre initiative de Jean Albert Cartier : les opéras d'une heure, avec Je vous dis que je suis mort de Georges Aperghis (mars), Mahagonny de Kurt Weill (avril), Passagio de Berio (octobre), moments marquants de la musique contemporaine.

L'un des faits saillants de la saison c'est le retour en force de l'opérette, genre très prisé du public français. La Périchole vue par Jérôme Savary et importée de Genève au Théâtre des Champs-Élysées (un lieu sur lequel il faudra désormais compter, et un nouveau directeur, Georges François Hirsch), Orphée aux Enfers confié à Jorge Lavelli à l'Espace Cardin, la Chauve-Souris au TMP en alternance avec la Fille de Madame Angot, première mise en scène lyrique de Jean-Claude Brialy : pour la fin de l'année, la gaieté règne.

En province

Attachons-nous surtout aux œuvres rares, puisque, malgré les problèmes financiers qu'ils connaissent tous, les théâtres de province n'hésitent pas, souvent, à sortir du grand répertoire : à Bordeaux, Erszebet de Charles Chaynes, Trois Contes de l'Honorable Fleur (Ohana) [avril] ; au Havre et à Tourcoing, le Retour d'Ulysse de Monteverdi, dans une réalisation musicale de Jean-Claude Malgoire ; à Lyon, l'Étoile (avril), Médée et Medea (M. A. Charpentier/Bryars) [octobre] ; à Marseille, Adrienne Lecouvreur (février), Christophe Colomb (octobre) de Darius Milhaud ; à Nancy : Lucrèce Borgia de Donizetti (mars) ; à Nice : Wozzeck (mai), les Vêpres siciliennes (juin), Maria Stuarda de Donizetti (septembre) ; à Rouen : le Cid de Massenet, mis en scène par Christiane Issartel pour commémorer le tricentenaire de la naissance de Corneille ; à Lille : la Dame de pique, excellent spectacle d'un Opéra du Nord en pleine crise, en proie à de multiples problèmes que va devoir résoudre son nouveau directeur, Humbert Camerlo.