Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

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L'opinion désabusée

Triste année pour le pouvoir que 1984. Au vu des enquêtes d'opinion, le divorce entre le « pays légal » et le « pays réel » a pris une singulière ampleur. Le mécontentement antigouvernemental a atteint un niveau sans précèdent sous la Ve République. Le président de la République a, bien évidemment été la première victime de cette réaction de rejet. François Mitterrand a connu un état d'impopularité permanent. D'un mois à l'autre, sa cote de satisfaction est toujours restée largement négative. On n'ose plus parler de creux de la vague. L'opinion semble installée, depuis le printemps 1983, dans une défiance à l'égard de Mitterrand que rien ne vient entamer. Valéry Giscard d'Estaing, quant à lui, n'avait connu qu'exceptionnellement un tel niveau d'impopularité. Qui plus est, la cote présidentielle s'est encore dégradée en fin d'année. En novembre, il ne se trouvait plus qu'un Français sur quatre pour se déclarer satisfait de Mitterrand.

Le Président en première ligne

Toutes les catégories sociales, toutes les classes d'âge sont désormais en majorité mécontentes du président. Seuls les sympathisants socialistes continuent à le soutenir. François Mitterrand est victime d'un double phénomène. L'électorat de droite lui est d'abord hostile dans sa quasi-totalité. Aucune initiative, aucun discours ne semble trouver grâce à ses yeux. Quant à l'électorat de gauche, sa déception se fait de plus en plus aigre. En septembre, 47 % des électeurs de Mitterrand se déclaraient « déçus » de son action depuis le 10 mai 1981 contre 42 % de « satisfaits » (sondage SOFRES-quotidiens de province). Le virage de la politique économique vers la rigueur et le style de Laurent Fabius ont décontenancé une large partie du « peuple de gauche ». En septembre, seulement 45 % de ceux qui votèrent Mitterrand considéraient que « le nouveau gouvernement mène une politique de gauche » alors que 43 % pensaient le contraire (sondage BVA-Paris-Match). Mitterrand est victime de l'opinion très largement partagée selon laquelle il n'a pas tenu ses promesses : c'était l'avis de 69 % des Français trois ans après son arrivée au pouvoir (sondage SOFRES-Sud-Ouest). Bien des électeurs n'en finissent pas de reprocher à la gauche au pouvoir de ne pas avoir réussi le tour de force d'augmenter le pouvoir d'achat tout en diminuant le chômage.

En juillet, Mitterrand avait pourtant tenté de reprendre l'initiative. Une majorité de Français (58 % selon la SOFRES) a considéré que la nomination de Laurent Fabius au poste de Premier ministre constituait un « bon choix ». Mais le président n'en a aucunement profité. De même, le départ des ministres communistes a-t-il été favorablement accueilli par l'opinion. Là encore, l'effet sur la cote du chef de l'État semble avoir été nul. Quant à l'idée présidentielle d'un référendum sur les référendums, elle n'a guère passionné les Français. Certes, 70 % d'entre eux se sont déclarés favorables au principe de la réforme constitutionnelle proposée (IPSOS-le Matin), mais les enquêtes réalisées à la rentrée ont montré que les Français se sont désintéressés de cette affaire.

L'état de grâce de Laurent Fabius

Dans ce contexte de rejet du pouvoir socialiste, l'indulgence de l'opinion à l'égard du Premier ministre a pris un tel relief que l'on a parlé d'« effet Fabius ». De fait, alors que Pierre Mauroy mécontentait 58 % des Français en fin de mandat, son successeur ne suscitait, à son arrivée, que l'hostilité de 15 % d'entre eux et 72 % des électeurs trouvaient Fabius « sympathique » (IPSOS-le Point). Une majorité lui accordait sa confiance pour « moderniser la France » mais pas pour « rassembler les Français » (BVA-Paris-Match).

En fait, le nouveau Premier ministre a surtout bénéficié d'un certain attentisme de l'opinion. Les électeurs de droite ont d'abord réservé leur jugement sur un homme peu connu jusque-là et dont le style décrispé et moderne les surprenait. Mais le relatif état de grâce savouré par Fabius fut des plus fragiles. Quatre mois après son arrivée à l'hôtel Matignon, le pourcentage des « mécontents » a rattrapé celui des « satisfaits ». Et il est fort probable que la bonne image personnelle de Fabius ne suffira pas à le mettre à l'abri de l'impopularité qui s'attache au pouvoir. En novembre, 74 % des Français se disaient mécontents de « la façon dont la France est gouvernée » (BVA-Paris-Match).

Oui à l'austérité

On touche là le principal paradoxe de l'état de l'opinion. D'une part, c'est bien l'austère politique économique menée qui est à la racine de l'impopularité dont souffre le pouvoir. D'autre part, cette même politique économique apparaît majoritairement acceptée par les Français, même si ce soutien est teinté de fatalisme. En mars, 54 % des électeurs étaient favorables à ce que le gouvernement « poursuive son effort de rigueur même s'il faut accepter une certaine baisse du pouvoir d'achat » et seulement 29 % voulaient que le pouvoir « préserve le pouvoir d'achat même s'il faut accepter des déficits plus importants » (SOFRES-quotidiens de province). En août, une majorité de Français (42 % contre 36 %) souhaitait que le gouvernement Fabius « poursuive la politique de rigueur de Jacques Delors » (SOFRES-Figaro). Le même « réalisme » avait été constaté au sujet des restructurations industrielles. En janvier, 56 % des Français estimaient que le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de procéder à une modernisation souvent douloureuse tandis que seulement 34 % l'accusaient de trahir les intérêts des couches populaires (SOFRES-Libération).