Social

L'épreuve de vérité

Le gouvernement de Pierre Mauroy a su éviter l'épreuve de force avec les organisations syndicales en 1983. Sans doute les syndicats français, malgré la perspective des élections à la Sécurité sociale qui aurait pu attiser les surenchères, ont-ils eu le sens de la mesure. S'ils n'ont pas hésité, à des degrés divers suivant leur proximité idéologique avec le pouvoir, à critiquer parfois vivement certains aspects de la politique gouvernementale, dont la rigueur a été renforcée après les élections municipales, ils se sont gardés de déclencher une offensive de grande ampleur contre l'austérité à la française.

La faiblesse du syndicalisme français, ses divisions, ont pesé comme a joué l'apprentissage encore hésitant d'un nouveau réalisme. Mais la relative paix syndicale qu'a connue la France en 1983 tient au fait que l'épreuve de vérité n'a pas encore eu lieu.

Terrasser l'inflation

L'impératif est le même dans tous les pays industrialisés occidentaux. Il faut à tout prix réduire, pour ne pas dire terrasser, l'inflation. La France est encore loin d'avoir gagné cette bataille ; ailleurs, des remèdes plus draconiens que chez nous ont été parfois utilisés. Avec de plus ou moins grandes résistances chez des syndicats généralement plus forts que les nôtres.

En Allemagne fédérale, on a vu ainsi la puissante fédération de la métallurgie, l'IG-Metall, ne pas réussir à imposer une même discipline salariale à toutes ses régions. En Suède, les négociations salariales entreprises entre le patronat et le syndicat LO ont échoué. En Belgique, le couvercle de la marmite a sauté à cause des salaires dans le secteur public.

En Espagne, en revanche, le nouveau gouvernement socialiste a eu la satisfaction de voir s'ébaucher un « pacte social » entre les syndicats et le patronat. Mais il consiste surtout à construire une digue face à un éventuel renforcement de l'austérité. En Italie, les trois fédérations syndicales CGIL, CISL et UIL ont contracté un accord avec le patronat aboutissant à réviser, à la baisse, le système de l'échelle mobile des salaires. Aux États-Unis, au cours des neuf premiers mois de l'année 1983, les syndicats ont accepté, en négociant les conventions collectives, une augmentation moyenne de salaires de 1,7 %, c'est-à-dire inférieure au coût de la vie...

L'attitude des syndicats

La situation française ne ressemble ni à la situation allemande, ni à la situation américaine, ni à la situation belge ou italienne. L'année 1983 a été à cet égard une année d'attente. Les accords salariaux conclus en novembre 1982 — ou à défaut les recommandations — étant supposés couvrir l'ensemble de l'année 1983, les syndicats attendent de connaître l'évolution de l'inflation pour l'année pour réclamer l'éventuelle application des clauses de sauvegarde dans le secteur public. Mais chacun sait aussi que la discipline salariale devra être en 1984 encore plus stricte. Jacques Delors ne l'a pas caché en soulignant qu'il y allait de la crédibilité internationale de la France. Personne ne se dissimule le fait que le prix à payer pour redresser l'économie sera lourd et supposera donc des sacrifices. Mais les syndicats y sont-ils prêts ? Rien n'est moins sûr. Au lendemain des élections à la Sécurité sociale, FO se trouve magnifiquement confortée dans ses positions. La centrale d'André Bergeron a toujours mis en avant le maintien du pouvoir d'achat et la défense des avantages acquis. Elle ne peut que se montrer plus ferme sur ces questions. La CGT refuse elle aussi qu'on s'en prenne au pouvoir d'achat et considère que les « privilèges », si privilèges il y a, ne se trouvent pas chez les salariés dits « protégés » du secteur public. Son sévère revers électoral du 19 octobre ne pourra que l'inciter à se montrer plus ferme sur ces points. Les conditions sont donc réunies pour une véritable partie de bras de fer en 1984 sur le terrain salarial. Les syndicats seront-ils déterminés à la jouer ? Ce sera l'épreuve de vérité.

Michel Noblecourt

Syndicats

Entre le soutien et la mobilisation

Au risque d'être qualifié une fois encore de Cassandre, André Bergeron, fort de son auréole de leader syndical le plus populaire, enfonce le clou dès le début de l'année : « 1983 sera une année terriblement difficile. » Année « terriblement difficile » ? Qu'en retiendra-t-on ? Le bond syndical de FO se hissant à la deuxième place aux élections à la Sécurité sociale ? Une rigueur accrue confrontée aux discussions salariales ? L'embarras des syndicats ? La voie étroite de la politique contractuelle s'efforçant de se préserver une marge de manœuvre ou plutôt une marge de survie ? Le tri est délicat entre tous ces événements mais, si 1982 avait porté la marque des nombreuses réformes sociales engagées — de la réduction de la durée du travail aux lois Auroux —, 1983 demeurera comme l'année de la rigueur, pour ne pas dire de l'austérité.

L'arme au pied

Ainsi, le pronostic d'André Bergeron s'est en partie vérifiée : 1983 a été une année très difficile. Mais la France a su éviter toute explosion sociale. Elle n'a pas eu à faire face à un déferlement, plus ou moins contrôlé par les syndicats, de grèves dans le secteur public comme en Belgique. Il n'y a pas eu de véritable partie de bras de fer entre le gouvernement et les organisations syndicales. Le climat social est resté marqué par le développement de sentiments de déception, de découragement, de sinistrose, mais, dans bien des cas, les salariés sont demeurés l'arme au pied. Certes, l'industrie automobile a connu de nouveau en début d'année, à Renault-Flins et à Citroën-Aulnay, des conflits qui ont donné lieu à des tensions violentes. Certes, le climat a été perturbé, empoisonné même, à l'automne par le conflit long et éclaté des centres de tri postal et par les rebondissements dans l'industrie papetière de l'épreuve de force de la Chapelle-Darblay opposant la CGT d'une part au groupe néerlandais Parenco, d'autre part, au gouvernement et à la CGC. Pour les sept premiers mois de l'année 1983, selon un bilan dressé par le ministère des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, on a compté 849 700 journées de travail perdues du fait de conflits, contre 1 700 000 pour la même période de 1982, 803 700 en 1981, 1 200 000 en 1980 et 3 100 000 en 1976. Dans la majorité des cas, ces grèves ont porté sur des problèmes de suppressions d'emplois.

Rigueur et concertation

Tout au long de cette année 1983, la situation sociale a connu trois phases successives. Au cours de la période qui a précédé les élections municipales de mars, les syndicats ont eu à la fois à gérer les conséquences du premier plan de rigueur — celui qui à la mi-juin 1982 avait instauré un blocage des prix et des revenus — et à se préparer, avec inquiétude, au second, d'où, dans leur attitude, la marque d'un certain attentisme. Le 31 janvier, reçu par le président de la République comme les autres leaders syndicaux, Edmond Maire lance une véritable bombe. « Si un deuxième plan de rigueur s'avère nécessaire — et cette hypothèse doit maintenant être envisagée —, déclare le secrétaire général de la CFDT, il devra contenir des options fermes en faveur des chômeurs, des bas salaires et une réforme fiscale qui pose les conditions d'une lutte contre les inégalités. »