À l'inverse, les investissements de la construction mécanique française, par exemple, ont diminué de 12 % de 1974 à 1980, puis de 12 % encore en 1981, de 6 % en 1982. Mal outillé lui-même, le secteur français risque de rater le virage de la nouvelle mécanique, connue du public sous les termes d'automatisation, de robotisation, etc.

Sous la forme de successifs plans machines-outils, les pouvoirs publics s'efforcent d'enrayer une régression dont l'origine se situe dans celle des principaux clients traditionnels tels que la sidérurgie, les travaux publics, le textile. Il en résulte une dégradation financière : la rentabilité des fonds propres de la mécanique française est tombée de 16 % en 1980 à 3 % en 1982. Ce qui gêne la réorientation des fabrications vers les besoins des clientèles en phase de croissance — l'électronique, l'informatique. C'est un cercle vicieux qui n'est rompu que par des cessations d'activités de plus en plus nombreuses, par des fusions et regroupements qui s'opèrent autour des industries nationales et des entreprises les plus puissantes.

Michel Herblay

Sidérurgie

Le plus dur commence

Il n'y a plus de mot assez fort pour qualifier la dégradation de la sidérurgie française. Chaque année qui passe apporte son lot supplémentaire de contre-performances. En dépit d'une kyrielle de plans d'assainissement se chiffrant en milliards de F de subventions et en dizaines de milliers de licenciements, l'hémorragie financière ne cesse de s'aggraver. Si on s'en tient à l'évolution des résultats nets des deux grands aciéristes français (Usinor + Sacilor), on ne peut qu'être effaré par les progrès du mal : 2,3 milliards de F de déficit en 1979 ; 3,2 en 1980 ; 7 en 1981 ; 8,3 en 1982. La barre des 10 milliards de F de déficit risque d'être franchie en 1983 ! Une telle dégringolade s'explique à la fois par le fléchissement continu de la demande, donc de la production, l'existence d'effectifs pléthoriques, et le maintien en service de hauts fourneaux hors d'âge.

Cette situation catastrophique n'est pas l'apanage de la France. Toutes les sidérurgies occidentales traversent une crise sans précédent. Déjà, en 1982, le belge Cockerill affichait 1,6 milliard de F de pertes, la British Steel plus de 6, et l'américain Bethlehem Steel près de 10. Tout indique que 1983 n'a pas été l'année du redressement. Au contraire. À l'issue du premier semestre, on notait déjà une baisse de la production de 6 % aux États-Unis, de 12 % en RFA et de 20 % en Italie. Avec – 9,8 %, le Japon n'échappe pas à l'effondrement général.

Le drame de la sidérurgie est d'autant plus inquiétant qu'on n'en voit pas la fin. C'est la conséquence inéluctable de la diminution de la part de l'industrie — grande consommatrice d'acier — dans la production globale (elle-même touchée par la crise économique), de la baisse de la consommation d'acier (au bénéfice d'autres matériaux, comme le plastique ou l'aluminium) par l'industrie elle-même, et de l'émergence de nouveaux pays producteurs (Chine, Corée, Argentine). On a donc affaire à une évolution structurelle, aggravée par les difficultés du moment, qui implique une réduction massive des hommes des usines.

Mais cette cure d'amaigrissement est difficile à appliquer. La sidérurgie est une industrie de main-d'œuvre ; la moindre diminution des effectifs prend immédiatement des proportions spectaculaires. De plus, dans beaucoup d'esprits, l'acier conserve une valeur de symbole : démanteler un haut fourneau, c'est porter atteinte au patrimoine national ! D'où une complicité objective entre gouvernements, producteurs et syndicats pour tenter d'éviter l'inévitable. Dans cette affaire, certains pays comme la RFA et le Japon ont su pratiquer à temps des coupes claires dans leur dispositif. D'où, aujourd'hui, les pertes limitées de Thyssen et les profits honorables de Nippon Steel. Mais d'autres pays, espérant contre toute évidence une reprise du marché, ont longtemps préféré la médecine à la chirurgie, si bien qu'ils se trouvent maintenant — c'est le cas du Benelux, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de la France — dans une situation intenable.