Jacques Léger

Industrie

Politique industrielle : le virage

Une priorité absolue : la modernisation de l'industrie, qui occupe une place stratégique dans l'économie française : hors énergie, les activités industrielles représentent en effet 23,8 % du PIB, 23,5 % de l'emploi, 71,9 % des exportations et 59,7 % des importations.

Depuis mai 1981, la gauche n'a jamais changé de leitmotiv. Mais, en deux ans, la méthode d'action gouvernementale aura changé du tout au tout. Au printemps de 1983, Laurent Fabius quitte le ministère du Budget pour s'installer rue de Grenelle à la tête d'un vaste ensemble ministériel regroupant l'Industrie, la Recherche, l'Énergie et les PTT. Aussitôt, il s'engage dans une autre voie que celle de son prédécesseur, Jean-Pierre Chevènement.

Changement d'équipe, changement de tactique

Après la relance de 1981 et les nationalisations de 1982, l'année 1983 inflige, il est vrai, de fortes désillusions aux responsables de la politique industrielle. Il apparaît sans tarder que le nouveau secteur public ne pourra pas jouer son rôle de locomotive du développement. Pas plus d'ailleurs que les géants du secteur privé. À l'heure où les multinationales anglo-saxonnes s'attendent à une forte croissance de leurs profits (stimulés par la reprise américaine et les cures de redéploiement stratégique des années de crise), la France prend conscience de l'extrême affaiblissement de ses grandes entreprises : pertes massives de Renault, Peugeot et Michelin, écroulement de Creusot-Loire, nuages sur Bull et l'Aérospatiale, reconstruction nécessaire de Pechiney et de Thomson, débâcle de la sidérurgie...

Jean-Pierre Chevènement fondait son action sur une assez stricte vision doctrinale. Ses amis du CERES, l'aile gauche du PS, assuraient que la réindustrialisation de la France ne pouvait se faire qu'au prix d'une cure de socialisme autoritaire, impliquant la sortie du franc du système monétaire européen, l'adoption d'une certaine forme de protectionnisme conservatoire et un renforcement massif de l'aide publique au secteur nationalisé. À l'inverse, Laurent Fabius affiche son attachement à certains principes de l'orthodoxie libérale. Son discours ressemble plus à celui d'un démocrate américain qu'à celui d'un adepte de la lutte des classes.

À la gestion dirigiste des filières et à la politique d'intervention directe dans la vie des secteurs, il affirme préférer les mesures horizontales, c'est-à-dire tout ce qui agit sur l'environnement des entreprises : la formation, la diffusion des techniques de gestion, la motivation des cadres, l'aide à l'investissement, la recherche et l'innovation. L'année 1983 voit ainsi la stratégie industrielle du gouvernement se développer autour de trois points forts.

CGT
La tentation de la gestion

Dans de nombreux conflits sociaux qui se produisent dans des entreprises en difficulté, la CGT, rompant avec ses traditions, a présenté un plan industriel, considéré par elle comme un préalable à une discussion sur le plan social.

Engagée dans cette voie depuis le congrès de Lille en 1982, la CGT trouve dans ces entreprises menacées (La Chapelle Darblay, l'Imprimerie Montsouris) ou simplement en difficulté (Peugeot-Talbot, voire Renault) une application à son mot d'ordre « Produisons français ».

Ainsi apparaît la volonté de la centrale syndicale d'utiliser les nouveaux droits des travailleurs (traduits par les lois Auroux), et notamment l'accès aux documents économiques, pour introduire dans la gestion des entreprises une logique industrielle et économique différente.

Réaménagement des circuits de financement de l'industrie

En septembre 1983, un Fonds industriel de modernisation est mis en place en vue de créer un canal direct entre l'épargne des ménages et l'industrie. Le FIM est alimenté par la collecte des Codévi (les comptes de développement industriel), et il accorde des prêts participatifs à faible taux et des concours sous forme de crédit-bail à des entreprises innovatrices sélectionnées par l'ANVAR (l'Agence nationale pour la valorisation de la recherche). Chaque dossier doit être traité dans un délai maximal de huit semaines.

Rénovation du tissu industriel

Le mot filière a pratiquement disparu du vocabulaire gouvernemental, mais l'inspiration n'a pas changé dans le domaine des industries d'avenir. La France souhaite toujours devenir le troisième pôle électronique du monde. Le 11 octobre 1983, à l'Assemblée nationale, Laurent Fabius explique aux députés comment il compte s'y prendre pour atteindre un objectif aussi ambitieux : coalition des moyens des ministères de l'Industrie et des PTT, partage des tâches entre les deux pilotes du secteur public de l'électronique, Thomson et la CGE, consolidation de Bull, programme massif de formation des jeunes, multiplication des aides à l'automatisation des ateliers et des usines (plan productique)...