Une revendication que Michel Rocard n'admet qu'à moitié. Pour lui, dans les instances de réflexion, toutes les opinions doivent pouvoir se faire entendre, même les plus minoritaires. En revanche, dans les instances de gestion, aux organisations majoritaires de prendre leurs responsabilités. Une distinction, où François Guillaume n'est pas loin de voir un piège.

La reprise du dialogue

Le gouvernement semble résolu à tirer la leçon de ces élections. Après deux années de relations plus que tendues entre son ministre de l'Agriculture et le syndicalisme agricole majoritaire dans le monde paysan, le Premier ministre, Pierre Mauroy, s'entretient, le 8 mars, avec François Guillaume, au Salon de l'agriculture de Paris, et il lui dit son désir de « reprendre la concertation avec la FNSEA ».

Au lendemain des élections municipales, le président de la République procède à un remaniement ministériel. Reconduit dans ses fonctions, Pierre Mauroy confie à Michel Rocard le portefeuille de l'Agriculture. C'est une surprise. Bonne, apparemment. Dans les milieux agricoles, en effet, la nomination de Michel Rocard est bien accueillie. On lui accorde le préjugé favorable. Et, le 31 mars, le nouveau ministre de l'Agriculture reçoit, deux heures durant, le patron de la FNSEA, François Guillaume. L'entretien se déroule « dans un climat d'échanges fructueux » et permet « de convenir de modalités de concertation régulière », dit-il ; « un dialogue ouvert et constructif entre des hommes de bonne volonté », renchérit son interlocuteur.

Pour l'essentiel, la conversation a porté sur les problèmes agricoles les plus urgents. D'abord, les nouveaux prix de campagne dont normalement les règles de la Communauté européenne veulent qu'ils soient fixés pour le 1er avril de chaque année. Ensuite, les seuils de production que les autorités communautaires entendent instituer, mais dont les organisations agricoles françaises ne veulent pas car ils impliquent, en cas de dépassement, une réduction des garanties de prix et peuvent conduire à une limitation de la production. Enfin, les montants compensatoires monétaires qui jouent pour les pays à monnaie faible comme des subventions à l'importation de produits agricoles et des taxes à l'exportation. La France est dans ce cas. Et ce système défavorise ses ventes de produits agricoles à l'étranger. À l'inverse, il facilite celles des pays à monnaie forte comme l'Allemagne de l'Ouest et les Pays-Bas, leurs montants compensatoires, dits positifs, les protègent, par des taxes à l'importation, de la concurrence de leurs partenaires sur leur marché intérieur et leur permettent de jouir de subventions à l'exportation.

Une fois encore, le 21 mars, la Communauté européenne a été le théâtre d'aménagements monétaires : le franc français a été dévalué, le mark allemand et le florin néerlandais ont été réévalués. En vertu de quoi les montants compensatoires, négatifs, de la France ont augmenté ainsi que ceux, positifs, de l'Allemagne et des Pays-Bas. Les inconvénients pour l'une, les avantages pour les autres s'en trouvent accrus.

Michel Rocard, qui, dans les premiers jours d'avril, reçoit successivement les représentants du MODEF (le Mouvement de défense des exploitants familiaux), puis de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et enfin du Centre national des jeunes agriculteurs, s'entend rappeler ces problèmes par les uns et par les autres. Et François Guillaume les traitera de nouveau devant lui au congrès de son organisation qui se déroule du 12 au 14 avril à Grenoble. Le président de la FNSEA y accueille le ministre par un discours sans concession, dans lequel il égrène toutes les revendications syndicales. Des plus importantes aux plus modestes.

Michel Rocard
En tête pour la popularité

Il est passé par ici, il repassera par là. Un jour sous les feux de la rampe, le lendemain expédié dans les coulisses, Michel Rocard n'a décidément pas une carrière de tout repos. Bardé de diplômes, ancien élève de l'ENA, ce bouillant socialiste anime le PSU de 1967 à 1973. Puis il abandonne ses polos façon « prolo », ses discours à la bonne franquette et rejoint le parti socialiste. Membre du bureau exécutif du parti, devenu secrétaire national chargé du secteur public en 1975, Michel Rocard superstar est l'homme qui monte, qui monte... Jusqu'au jour fatal d'octobre 1980 où il tente de concurrencer François Mitterrand. Il a payé cher sa candidature éphémère à l'Élysée. Après une période de « purgatoire » comme ministre du Plan, il est enfin revenu sur le devant de la scène. L'ancien champion de l'autogestion a fait une entrée triomphale au ministère de l'Agriculture, le 23 mars 1983. Rompant avec le style pur et dur d'Édith Cresson, il a su apaiser l'esprit frondeur des représentants du monde agricole, hostiles pour la plupart au gouvernement socialiste. Pour cela il n'hésite pas à caresser les opposants dans le sens du poil. Pendant le congrès de la FNSEA, conscient de l'impopularité de la loi créant des offices par produits, n'a-t-il pas proposé aux différents présidents des fédérations de présider les offices ? Michel Rocard sait aussi jongler avec la dialectique et renvoyer ses interlocuteurs à leurs propres contradictions. Les agriculteurs réclament à cor et à cri l'abandon de la politique agricole commune ? Le grand débat opposant les partisans des productions animales à ceux des céréales est dans l'impasse ? Il répond : « Faites-moi des propositions. » Histoire de contraindre chacun à mesurer au grand jour les conséquences de ses revendications. Reste que l'ancien inspecteur des Finances ne joue pas toujours sur du velours. Il se frotte aussi à la dure réalité du ring. Réduction des moyens de financement de l'agriculture, tant au point de vue social qu'au point de vue économique, difficultés européennes, situation bloquée avec les États-Unis... Il n'est pas facile de gérer la France verte.