Première conséquence : l'OPEP, le cartel des pays exportateurs de pétrole, a cessé d'inquiéter. Malgré les sacrifices exemplaires consentis par le principal d'entre eux, l'Arabie Saoudite, qui avait réduit en quelques années sa production de moitié, l'Organisation, dans les réunions qu'elle a tenues en décembre 1982 à Vienne et en janvier 1983 à Genève, n'avait pas réussi à rétablir la discipline entre ses membres : il s'agissait de fixer à chacun un quota de production à ne pas dépasser. Finalement un accord intervenait à Londres, le 14 mars 1983 : le prix officiel du baril était ramené de 34 à 29 dollars, et les pays de l'OPEP se mettaient d'accord pour ne pas dépasser, ensemble, une production de 17,5 millions de barils par jour.

Restait à savoir si le marché mondial, qui avait depuis longtemps anticipé la baisse, allait trouver son équilibre sur ces nouvelles bases et ratifier, dans les faits, la stratégie défensive de l'OPEP. Les premiers mois d'application de l'accord se sont révélés positifs sur ce point : les transactions libres ont cessé de peser à la baisse. En outre, la reprise économique mondiale, même incertaine, devrait redresser la courbe de la demande de pétrole. Mais il faut compter à l'inverse avec les exportateurs non membres de l'OPEP (Mexique, Grande-Bretagne, URSS) qui ne sont pas tenus par l'accord et pourraient être tentés de profiter d'un marché en reprise. Au total, il ne semble pas que le rapport de forces puisse s'inverser de nouveau dans un proche avenir. Certains experts prévoient qu'après l'accalmie actuelle le marché pourrait se remettre à faiblir et le prix du baril tomber à 24 dollars en 1986, et plus encore par la suite (jusqu'à 20 ou 15 dollars). À moins, évidemment, qu'une crise politique, au Moyen-Orient ou ailleurs, ne relance la machine infernale du chantage pétrolier.

Le rapport Josèphe

Si les perturbations semblent ainsi se calmer sur la scène mondiale, d'autres sont apparues, en revanche, sur la scène française. La politique de l'énergie mise en place à partir de 1973, dont on s'accordait à reconnaître qu'elle constituait une réponse avisée et vigoureuse à la période de pénurie, n'est plus adaptée aux circonstances nouvelles.

L'alarme a été donnée en avril 1983 par un rapport préparatoire au IXe Plan, dit rapport Josèphe, du nom de son auteur, président du groupe « long terme » sur l'énergie. Que disaient, en substance, les experts ? Que la consommation d'énergie était désormais orientée durablement à la baisse, sous l'influence de trois facteurs jouant dans le même sens : une croissance économique dont le rythme ne cesse de décliner ; un infléchissement des activités au détriment de l'industrie et au profit des services, qui consomment moins d'énergie ; enfin le progrès des rendements d'utilisation dans tous les secteurs de consommation. Compte tenu de ces tendances profondes, la commission étudiait trois scénarios, dont le plus optimiste prévoyait pour l'an 2000 une consommation totale d'énergie de 220 à 230 millions de tonnes équivalent-pétrole (MTEP), et le plus pessimiste une consommation de 181 à 196 MTEP — pas davantage qu'au début des années 1980 ! Dans ces conditions, affirmaient les rapporteurs, « il apparaît clairement que toutes les filières énergétiques se trouvent en situation de surproduction ».

Le charbon national, par exemple, qui joue désormais un rôle mineur dans notre bilan énergétique, aura bien du mal à conserver ses derniers débouchés face à la baisse prévisible du prix des énergies concurrentes (pétrole, gaz naturel), et alors que son extraction doit déjà être largement subventionnée : sous diverses formes, l'État aura versé 6,6 milliards de F d'aide aux Charbonnages en 1983, soit environ 230 000 F par mineur de fond en activité. À l'exception de quelques gisements à peu près rentables en Lorraine et en Provence, la fermeture de la plupart des puits encore en activité paraît économiquement inéluctable, mais elle rencontre l'opposition du parti communiste et de la CGT. La démission de G. Valbon, président des Charbonnages témoigne de la grande hésitation du gouvernement socialiste, qui, prisonnier des promesses électorales passées, est en train de réviser sa politique charbonnière. L'entreprise Charbonnages de France, pour sa part, cherche à assurer sa survie en se faisant importateur de charbon bon marché et exploitant d'installations de chauffage, mais l'agitation observée en 1982-1983 dans plusieurs mines à bout de souffle (Cévennes, Carmaux) laisse mal augurer du lendemain.

Raffinage

Un autre problème épineux, et non résolu, est celui du prix des produits pétroliers vendus en France. Par suite de la baisse de la consommation, l'industrie du raffinage dispose en effet d'une capacité de production très excédentaire, dont la désaffectation progressive et l'adaptation technique lui imposent de lourdes charges financières. Après de longues récriminations, le gouvernement avait mis en place, le 1er mai 1982, un nouveau régime des prix des produits pétroliers, permettant aux raffineurs de s'adapter plus rapidement aux hausses du brut et de colmater ainsi leurs pertes. Or, dans la formule adoptée, le taux du dollar jouait un rôle essentiel, puisque le brut est payé dans cette monnaie. La monnaie américaine continuant à monter par rapport au franc, il en est résulté, malgré la baisse du prix du brut en dollars, que les prix des produits pétroliers en France n'ont cessé d'augmenter, handicapant en permanence la lutte contre l'inflation menée par ailleurs par le ministre des Finances. Ce que voyant, Jacques Delors décidait en septembre 1983 de suspendre l'application de la « formule », ou plus exactement d'y évaluer arbitrairement le dollar à 7,70 F, alors que sa valeur dépasse en permanence, et parfois largement, les 8 F. Les compagnies pétrolières, retrouvant ainsi leurs difficultés financières, ont exprimé un vif mécontentement ; Michel Pecqueur, qui avait succédé en juin 1983 à Albin Chalandon à la présidence d'Elf Aquitaine, a même envisagé publiquement de réduire la part de sa compagnie dans l'activité de raffinage en France, contrairement à la vocation fondamentale de celle-ci.

Le programme nucléaire

Mais la révision la plus déchirante concerne le vaste programme d'équipement nucléaire lancé par EDF à partir de 1974, dans le but alors parfaitement louable d'alléger la dépendance énergétique de la France, en développant une énergie purement nationale et, de plus, parfaitement compétitive. Mené avec beaucoup de moyens et de détermination, ce programme avait fait de la France, en quelques années, le champion du monde du développement nucléaire (en 1982, l'atome a fourni 39 % de notre électricité), au prix d'ailleurs d'un endettement impressionnant d'EDF. Or, compte tenu de l'inertie de tels investissements (il faut compter six ans entre l'ouverture d'un chantier et la mise en service de la centrale correspondante), le rapport Josèphe a pu calculer qu'avec les équipements déjà en service ou en construction la France allait disposer inéluctablement en 1990 de 430 TWh (milliards de kilowattheures) d'énergie électrique, alors que la demande ne dépasserait pas 350, et peut-être même pas 325 TWh.