Du côté américain, en effet, on tend à une globalisation de tous les termes de la menace soviétique, à laquelle on souhaite donc apporter une réponse, elle aussi globale, notamment dans le domaine économique, ce qui supposerait une intégration de la relation économique Est-Ouest dans la stratégie de sécurité de l'Alliance. De plus, l'on y défend le principe de l'extension géographique de l'Alliance, en dehors de la zone initialement définie (au nord du tropique du Cancer). Du côté français, on refuse ces deux approches. Cette attitude originale, qui se situe dans la tradition gaullienne, s'exprime également en matière de désarmement, Paris liant ce problème à celui du développement et multipliant ses propositions pour réduire les causes de tension que sont le surarmement des grandes puissances, le déséquilibre des forces et l'utilisation militaire de technologies nouvelles.

Euromissiles

C'est ainsi que la France considère que l'équilibre en Europe, qui est partie intégrante de la zone couverte par l'Alliance, est affecté, depuis 1977, par le déploiement de nouvelles armes nucléaires soviétiques. De manière solennelle, le président Mitterrand appuie, devant l'Assemblée générale des Nations unies (28 septembre), l'implantation de 108 lanceurs Pershing II et de 464 missiles de croisière sol-sol, outre-Rhin, en cas d'échec des négociations soviéto-américaines de Genève, dans lesquelles la France n'entend pas être impliquée directement par la prise en compte de son arsenal nucléaire. Or, dans ce grand débat, qui conditionne la sécurité à venir de l'Europe, Washington ne semble pas totalement exclure de comptabiliser les forces nucléaires anglaise et française pour arriver à une réduction des armements. Un tel rééquilibrage nucléaire en Europe compromettrait, selon les responsables français, la dissuasion nucléaire de la France.

Le président Mitterrand reste également persuadé que la promotion d'une défense de l'Europe repose sur un rapprochement franco-allemand dans le domaine militaire, mais constate que Bonn se montre quelque peu réticent. L'expulsion de 47 diplomates ou représentants soviétiques de la France (avril 1983), la condamnation sévère de Moscou à la suite de la destruction du Boeing sud-coréen (septembre 1983) montrent que, malgré la présence de ministres communistes au gouvernement, celui-ci ne craint pas d'afficher un atlantisme plus marqué, même si l'intérêt économique commande de maintenir avec l'Union soviétique un flux d'échanges normal. Considérée volontiers comme un « allié modèle » par les États-Unis, la France ne tire pourtant aucun avantage particulier dans le domaine de la concertation transatlantique sur les plans économique et, surtout, monétaire. D'où quelques déceptions et même irritations affichées du côté français.

L'Europe en crise et la France à court d'idées

Rendre à l'Europe sa véritable dimension, tel est l'objectif de la France qui comprend bien qu'elle n'a pas nécessairement les moyens, à elle seule, de modifier la politique mondiale sur les sujets les plus difficiles. Or, loin d'aller de l'avant, la construction européenne montre des signes évidents d'effritement et de découragement. C'est ainsi que la crise agricole européenne demeure un sujet de débat où s'épuisent les négociateurs en controverses stériles. Ce désaccord persistant tient avant tout au système qui règle la vie de la Communauté. Les crises résultent d'abord des rapports entre les institutions européennes (Assemblée, Conseil, Commission, Cour de justice) et de l'absence d'accord entre elles sur leur rôle respectif. D'un autre côté, le système communautaire montre une capacité remarquable à transformer ce qui, dans un premier temps, est une crise en une pratique admise.

Piliers de la Communauté, Paris et Bonn hésitent, ou renoncent, à s'engager hardiment dans une coopération industrielle qui élargirait leur champ d'action et réduirait le coût d'investissements : ainsi le projet Thomson-Grundig échoue-t-il. Il est vrai que la bonne santé de l'économie allemande fait craindre à l'économie française de ne pouvoir tenir le pari. Or, ainsi que le souligne le Premier ministre français (20 septembre) : « seule une entité économique de la dimension de l'Europe pourra se doter de moyens autonomes pour assurer sa sécurité et sa défense ».