Journal de l'année Édition 1984 1984Éd. 1984

Le temps des défis

Ce jour-là, 26 septembre 1983, l'Amérique coule à pic. Tout un peuple, les yeux braqués sur Newport, temple de la voile outre-Atlantique, est vaincu, dans la régate du siècle, par le 12 mètres Australia II. L'Amérique perd la coupe de l'America. « Sa » coupe. Une aiguière d'argent rococo qui semblait ancrée à vie dans une vitrine de Manhattan, symbole du règne absolu de la voile américaine sur l'un des plus vieux et des plus prestigieux défis des mers. On l'appelait le pichet sans fond.

Car, depuis 1851, année où le schooner America enlève la première coupe au nez et à la barbe de 15 yachts anglais amour de l'île de Wight, les challengers ont englouti des fortunes pour tenter de ravir le trophée. 20 milliards de centimes est le prix du triomphe australien qui couronne 13 années d'efforts obstinés du magnat Alan Bond, un Anglais arrivé au pays des kangourous sans un sou en poche à l'âge de 13 ans. La légende veut qu'en 1970 les Américains lui aient refusé l'accès de leur ponton à Newport. Ivre de rage, celui que l'on a surnommé le « bulldozer » aurait alors juré de revenir « prendre la foutue coupe ».

L'aventure

Deux hommes lui ont permis de réaliser son rêve. D'abord John Bertrand, 36 ans, le skipper. Un des plus fins régatiers de son pays. Il fait son apprentissage de l'America's Cup en 1970 et 1980 sous les ordres de Jim Hardy, sur Gretel II et Australia, les premiers bateaux de Bond. Ensuite Ben Lexcen, 47 ans, l'architecte, celui qui a dessiné la coque effilée et la quille révolutionnaire d'Australia II. Bond, Bertrand, Lexcen sont rentrés en héros dans leur pays, l'Australie, qui a décrété un jour chômé pour saluer cette victoire historique.

La coupe de l'America, trophée désuet, duel des mers aux règles compliquées et anachroniques, réservé à des monocoques surmontés de véritables cathédrales de voile, la coupe de l'America a pris une nouvelle dimension. Celle d'une aventure moderne où se fondent l'ambition d'un self made man, la qualité d'un équipage de 10 hommes, les inspirations d'un skipper mais aussi une technologie marine sophistiquée et des investissements considérables. Des années d'efforts, d'astuces, d'études, de préparation se jouent sur un coup de vent, sur un incident, sur le flair d'un marin. Sur un coup de poker. Voilà sans doute pourquoi ce 25e défi de l'America's Cup a exercé une telle fascination.

Le retour de l'athlétisme

À des milliers de kilomètres de Newport s'est déroulé un autre événement : les premiers championnats du monde d'athlétisme. Un an avant les jeux de Los Angeles, ce premier « mundial » d'Helsinki a consacré le regain de popularité et de vitalité d'une des disciplines sportives les plus traditionnelles et les plus authentiques, alors même que les marathons, les courses à pied sur route se multiplient, rassemblant pour chaque épreuve des dizaines de milliers de concurrents. Dans une ambiance de fête, devant un public finlandais passionné et connaisseur, les championnats du monde couronnent de grands athlètes. Carl Lewis, le phénomène, qui sprinte aussi vite qu'il saute loin en longueur. Calvin Smith, l'homme le plus rapide du monde, récent recordman du 100 m en 9 min 93. Edwin Moses, l'invincible, qui remporte, haut la main, le 400 m haies malgré un lacet défait. Mais aussi la belle Soviétique Tamara Bykova, révélation du saut en hauteur. Derrière ces exploits individuels, derrière ces champions se dessine un autre défi. Celui que se sont lancé sur les stades les deux grands, les États-Unis et l'URSS, prestige olympique en jeu.

Le sport de haute compétition, devenu sport spectacle planétaire par le puissant relais de la télévision, met aujourd'hui en présence des intérêts considérables. Politiques ou financiers. Car son impact est mondial. Nombreux sont aujourd'hui les promoteurs qui cherchent à investir dans le sport. Ainsi, cet autre Australien, David Lord, qui a tenté de révolutionner les mœurs du rugby, jeu amateur, en lançant l'idée de tournois professionnels entre les meilleures équipes du monde. David Lord, même s'il n'aboutit pas, pourra se vanter d'avoir lancé un défi à l'establishment du rugby.