Année de la fin des illusions pour un pays habitué à des taux de croissance à la japonaise et naguère présenté comme un modèle, 1983 annonce donc un avenir difficile et sans doute troublé, qui pèsera sur les présidentielles de 1985.

Jean-Louis Buchet

Chili

Pinochet menacé

Pour la première fois, la question du départ du général Augusto Pinochet est ouvertement posée, en 1983. Ponctuée par des journées de protestations nationales très suivies et violemment réprimées, l'année est celle du réveil de l'opposition, tous courants politiques et secteurs sociaux confondus. À la contestation traditionnelle de la gauche et des classes populaires est venue s'ajouter celle de la droite et des classes moyennes qui s'estiment trahies par l'évolution économique.

L'ère du miracle est en effet bien finie : le libéralisme à tout crin des années 1977-1981 avait permis l'enrichissement spéculatif des couches intermédiaires et la constitution de grands groupes privés, avec une croissance soutenue (8 % en moyenne). Peu importait alors l'exclusion permanente des secteurs populaires, dont la part du gâteau diminuait. A. Pinochet avait l'appui des milieux d'affaires et comptait des partisans nombreux : les bénéficiaires de ce boom artificiel, qui ne se souciaient guère du manque de libertés. L'institutionnalisation du régime, consacrée par le vote, en septembre 1980, d'une Constitution sur mesure, devait permettre au dictateur de se maintenir au pouvoir jusqu'aux élections, prévues pour... 1989.

Journées de protestation

Las ! le plan de stabilisation de 1981, nécessaire eu égard à un endettement excessif, devait transformer le miracle en mirage. Fin 1982, le tiers de la population active est au chômage (un million de personnes), les faillites se succèdent, le pouvoir d'achat est en chute libre, le revenu par habitant redescend au niveau le plus bas depuis quinze ans. La grogne gagne jusqu'aux partisans du président.

En un premier temps, A. Pinochet feint d'ignorer l'orage, n'écoutant ni ses conseillers, ni son gouvernement, ni les officiers de haut grade qui s'inquiètent de la dégradation de la situation. Il ne réagit pas à l'annonce de la première journée nationale de protestation, organisée par la CTC (Confédération des travailleurs du cuivre), que dirige Rodolfo Seguel, avec l'appui d'autres syndicats. C'est pourtant un succès : le 11 mai, Santiago connaît, comme avant la chute d'Allende, un concert de casseroles vides. Les forces politiques s'engouffrent dans la brèche. Elles participent plus activement — la démocratie chrétienne en particulier — à la deuxième journée de protestation, le 14 juin. La réponse populaire est encore plus massive que le 11 mai.

Pinochet est contraint de réagir par la répression. Gabriel Valdés, leader de la DC, est interpellé. Troisième journée nationale, le 12 juillet, qui prend un caractère encore plus politique : le départ de A. Pinochet, le rétablissement de la démocratie sont les mots d'ordre de la manifestation. Nouvelle répression. Elle sera encore plus sanglante le 11 août, quand l'armée vient seconder les carabiniers (gendarmerie). Bilan (officiel) de cette quatrième journée : 32 morts et plus de 100 blessés.

La montée des oppositions

Mais, déjà, l'armée, les conservateurs, les États-Unis demandent un changement d'attitude du pouvoir, estimant à juste titre que la radicalisation profite surtout à une gauche qui était, jusque-là, très affaiblie. A. Pinochet est contraint de jouer une certaine ouverture. C'est la tâche confiée à son ambassadeur à Buenos Aires, Sergio Onofre Jarpa, ancien dirigeant du parti national (droite), nommé le 10 août ministre de l'Intérieur et Premier ministre. Onofre Jarpa présente au président, qui l'accepte, un plan prévoyant notamment des discussions avec les courants politiques, l'élaboration d'un statut des partis, la levée de l'état d'urgence, pour la première fois depuis le 11 septembre 1973 : la mesure est effective le 28 août.

Le but de la manœuvre est clair : favoriser les secteurs modérés de l'opposition (droite traditionnelle et aile conservatrice de la démocratie chrétienne), éviter une union de l'opposition dont pourrait tirer profit la gauche marxiste, le PC en particulier. Néanmoins, la tension monte encore à l'approche de la cinquième journée de protestation, prévue à trois jours du dixième anniversaire du putsch qui renversa Salvador Allende. Entre le 8 et le 11 septembre, manifestations et contre-manifestations se succèdent, les heurts avec les forces de l'ordre sont nombreux : une dizaine de morts au total. Mais le général Pinochet réaffirme, en septembre, qu'il compte rester au pouvoir jusqu'en 1989.