L'occasion est trop belle pour le président Reagan, qui redoute de voir la Grenade — où les barbudos s'apprêtent à achever la construction d'un grand aéroport — se transformer en « bastion soviéto-cubain ». L'invasion de l'île est décidée par Washington au lendemain du sanglant attentat de Beyrouth, qui a coûté la vie à 230 GI de la Force multinationale, le 23 octobre. Les prétextes invoqués pour l'intervention sont la protection des quelque 1 000 étudiants américains et l'implantation militaire soviéto-cubaine, qui menacerait les intérêts des États-Unis dans cette mer des Caraïbes qui est un peu leur mare nostrum.

Malgré les protestations qui fusent de différentes capitales — est-européennes, mais aussi latino-américaines et occidentales — la situation tend à se normaliser à Saint George's. Le gouverneur sir Paul Scoon, qui a été libéré par les marines, justifie a posteriori l'initiative de Ronald Reagan, ordonne la fermeture des ambassades est-européennes, cubaine et libyenne, et promet des élections générales, dans un délai de douze mois.

La plupart des marines évacuent l'île à la fin de l'année 1983, pour ne laisser sur place qu'une force de police. Nicholas Brathwaite devient Premier ministre.

Marc Yared

Guatemala

L'alignement sur Washington

Un général en chasse un autre, mais pas n'importe lequel : si Oscar Mejía, président du Guatemala depuis le 8 août, est un officier dur comme il y en a tant en Amérique centrale, le chef de l'État déchu, Efraim Rios Montt, était, lui, un officier atypique, un dictateur certes, mais aussi un mystique, qui se croyait l'« envoyé de Dieu sur terre ».

Membre de l'Église du Verbe, secte protestante d'origine californienne, le général Rios Montt s'était emparé du pouvoir le 23 mars 1982 pour « moraliser et nettoyer » son pays. Accueilli d'abord avec surprise, celui qu'on a surnommé l'« ayatollah du Guatemala » a suscité, en seize mois de règne, l'hostilité de la majorité de la population et des principales forces organisées.

Sous couvert de lutte contre la « subversion », Rios Montt décida une des plus violentes répressions de ces dernières décennies contre le monde paysan. Furent particulièrement victimes des exactions de l'armée les villages indiens, à tel point que des juristes n'hésitèrent pas à employer le mot de « génocide ».

Mécontentement général

Ratissages, disparitions marquent les premiers mois de 1983. L'exécution de six jeunes gens, condamnés comme « terroristes » à la veille de la visite du pape, en mars, et en dépit de ses appels à la clémence, provoque un incident avec Jean-Paul II.

Provocation ou inconscience, les ponts sont en tout cas coupés avec l'Église catholique. Celle-ci s'inquiétait déjà de la prolifération des sectes — plus de 200, selon certaines sources, qui auraient évangélisé près de 25 % de la population — et la hiérarchie était particulièrement irritée par les prêches télévisés de « frère Efraim ». Contre Rios Montt se dressaient également l'Administration et les milieux d'affaires qui, eux, craignaient ses croisades anticorruption (assez efficaces au demeurant). Les propriétaires terriens l'avaient également abandonné : les vagues projets « sociaux » du général-président ne les enchantaient guère.

Quant à l'armée, elle appuya, dans l'ensemble, la lutte antisubversive. Mais de nombreux officiers lui trouvaient un coût trop élevé au vu des résultats. En effet, si la sécurité publique fut rétablie à Ciudad Guatemala et si, dans un premier temps, la guérilla connut des défaites, les mouvements révolutionnaires se réorganisent rapidement et peuvent reprendre leurs actions en 1983. Actifs dans le nord et l'ouest du pays, ils réussissent même à porter des coups aux forces armées dans le département de Chimaltenango, près de la capitale.

Les Américains, qui ont rétabli en janvier leur aide au Guatemala, voient d'un très mauvais œil les velléités d'indépendance de cet allié peu commun. Ils reprochent en particulier au général Rios Montt de se désintéresser dangereusement du Nicaragua au moment où Washington demande une concertation accrue contre les sandinistes.