Cette métamorphose survient au moment où le Canada et les États-Unis concluent un accord qui retiendra l'attention d'une vaste partie de la population : les missiles Cruise, qui comptent parmi les armes les plus sophistiquées, feront leur banc d'essai sur le sol canadien. Si l'entente signée le 10 février spécifie que les obus destinés à recevoir une tête nucléaire ne seront pas chargés, les groupes pacifistes n'en multiplient pas moins les contestations. Ils recrutent un grand nombre d'adeptes nouvellement sensibilisés au problème de l'armement ; à tel point qu'un sondage indique que 57 % des Canadiens s'opposent à la tenue de ces essais en Alberta. Une doléance contre le gouvernement Trudeau, qui s'ajoute à bien d'autres.

Cette conjoncture favorise les conservateurs, qui gagnent des points importants au sein de l'opinion publique. Une enquête nationale révèle, en août, que le camp Mulroney recueille 55 % des faveurs populaires, contre 27 % pour les libéraux de P. E. Trudeau et 17 % pour les néodémocrates d'Ed Broadbent, condamnés à se satisfaire du troisième rang.

Le croupier n'a cependant peut-être pas distribué toutes les cartes, puisque les tenants de la souveraineté-association au sein du Parti québécois fondent une aile fédérale afin de faire entendre leur voix à Ottawa. Sans entretenir d'ambition de triomphe électoral (il compte tout de même faire élire plusieurs députés), le parti nationaliste pourrait bien enlever des sièges précieux aux conservateurs, à qui, sans un appui fort au Québec, on concède peu de chances de déloger le gouvernement libéral.

Forages et droits de pêche

En marge de toutes ces intrigues politiques, l'actualité canadienne est marquée par plusieurs événements.

Le Canada étend, le 6 janvier, la juridiction de ses douaniers jusqu'à 320 km des côtes, soumettant ainsi à son contrôle les plates-formes de forage se trouvant à l'intérieur de ces nouvelles eaux territoriales. En 1977, le gouvernement d'Ottawa avait adopté cette limite pour sa zone de pèche ; aujourd'hui l'appétit s'est accru. Ce qui n'empêche pas, le 20 janvier, qu'un accord soit conclu avec la compagnie Gulf qui explorera, au coût de 1,1 milliard de dollars, les gisements pétrolifères de la mer de Beaufort.

À la suite de la décision de la CEE, le 28 février, d'interdire l'importation de peaux de phoques canadiens à compter du 1er octobre, Ottawa réplique en réduisant les quotas de pêche alloués aux membres du Marché commun. La bataille est engagée. Les stratégies changent souvent sur les deux fronts, mais les principes demeurent. La CEE condamne le massacre des blanchons ; le ministre des Pêches, Pierre De Bané, insiste pour protéger les emplois des pêcheurs.

Au chapitre de la question des pluies acides, le Canada et les États-Unis ne s'entendent pas : Ottawa souhaiterait voir réduites de moitié les émissions d'anhydride sulfureux qui polluent les cours d'eau de l'est du pays.

L'été est également marqué par un remaniement ministériel important à Ottawa. Cinq ministres sont promus, le 12 août, le même nombre démis : tel est le bilan du changement orchestré par le Premier ministre pour redonner de l'élan à son équipe.

Sur le plan économique, le programme de contrôle des salaires imposé l'année dernière par le gouvernement aux employés de l'État, et suivi en partie par l'entreprise privée, produit ses premiers fruits. L'indice des prix à la consommation, qui oscillait au-dessus de 10 % depuis quelques années, a retrouvé des proportions plus modestes : il s'établit maintenant aux alentours de 6 %. Certains — le ministre des Finances, Marc Lalonde, donne parfois l'impression d'être l'un d'entre eux — craignent cependant que cette reprise rapide ne s'essouffle en 1984.

Si Ottawa parvient à juguler l'inflation à un niveau plus acceptable, les chômeurs demeurent toujours légion à travers le pays. Quelque 1 400 000 sans-emploi perçoivent encore les prestations gouvernementales et cultivent un taux de chômage voisin de 12 %. La soupe populaire n'a jamais fait d'aussi bonnes affaires. Le 22 septembre, à Paris, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) constate que le Canada fournit l'une des plus piètres performances du monde occidental en matière économique.