Les courants froids de l'économie n'adoucissent pas les humeurs. Cependant, il y a, dans ce domaine, de bonnes nouvelles aussi. Le 21 janvier, on apprend que, pour la seconde fois consécutive, l'État fédéral a sous-estimé ses recettes : le déficit prévu, d'un large milliard, se réduit à quasiment zéro. C'est avec une énergie d'autant plus grande que, le 31 janvier, le conseiller fédéral Kurt Furgler, patron de l'Économie publique, peut annoncer son plan de relance : une injection de 2 milliards dans l'industrie. La droite crie au gaspillage, mais les Chambres, après avoir un peu renâclé, adoptent le projet, qu'elles alourdissent de 129 millions de dépenses supplémentaires.

En février, les Chemins de fer fédéraux annoncent, penauds, un déficit record : 900 millions, auxquels il faut ajouter 600 millions comptabilisés dans les recettes, mais qui ne sont, en fait, que des prestations plus ou moins directes de l'État.

Le peuple et les cantons approuvent, le 27 février, le maintien de la taxe sur les carburants. Les citoyens-conducteurs admettent que cet impôt provisoire — il servait à construire le réseau des autoroutes — devienne définitif. En revanche, un projet d'article constitutionnel sur l'énergie, qui aurait permis à l'État central d'imposer des normes et des économies, est écarté de justesse : il réunit une faible majorité populaire, mais les cantons le repoussent.

Retour aux fastes de la politique étrangère, le 14 avril, pour la première visite en Suisse depuis... 1907 d'un président de la République française. M. François Mitterrand débarque un matin froid sur l'aéroport de Zurich-Kloten, entouré de Claude Cheysson, Jacques Delors, Édith Cresson et Charles Hernu. Au cours de ce voyage essoufflant, le président sera reçu par le Conseil fédéral, prononcera des discours, ira saluer les édiles et les foules de Bâle, de Soleure et de Neuchâtel. Entre les deux pays, le contentieux à régler n'est pas très lourd. On parle des capitaux évadés de France, des incidents douaniers que leur fuite provoque, du tourisme gêné par l'interdiction d'exporter des devises. Mais, surtout, François Mitterrand trouve des accents chaleureux pour célébrer et renouveler l'amitié franco-suisse : il se séparera de ses hôtes dans une atmosphère inhabituellement cordiale.

Les relations avec les pays de l'Est deviennent plus difficiles. D'abord, il y a l'affaire Favag. Cette société neuchâtelloise achète aux États-Unis deux appareils de mesure hautement sophistiqués, des micro-aligneurs, qui, arrivés en Suisse, sont pris en charge par un réseau de trafiquants et réexportés en direction de la Tchécoslovaquie. Ces pratiques ne relèvent pas du Code pénal, mais les douanes helvétiques, abusées par de faux certificats, prononcent de lourdes amendes pour sanctionner ces pratiques.

Entre-temps, le Conseil fédéral se fâche contre l'agence de presse soviétique Novosti. Elle est accusée de s'ingérer dans les affaires intérieures du pays, et, notamment, d'avoir soutenu des manifestations pacifistes. Son bureau de Berne est fermé, et le responsable de l'officine, Alexi Dumov, expulsé. Le numéro deux de l'ambassade de l'URSS à Berne, Leonid Ovtchinnikov, part discrètement « en vacances », mais ne reviendra pas.

Un soldat de l'Armée rouge met le gouvernement et le CICR dans l'embarras, le 8 juillet. Il s'appelle Youri Vachtchenko. Il est l'un des huit militaires faits prisonniers par les Afghans, et que, sous le patronage de la Croix-Rouge, la Suisse a accepté de recueillir pour un internement provisoire. Or, Vachtchenko s'enfuit et réapparaît en République fédérale allemande, où il demande l'asile politique. La question gênante qui se pose est, dès lors, de savoir si Berne a promis à Moscou de lui rendre des hommes qui n'ont aucune envie de revoir l'URSS, et qui, peut-être, y seront considérés comme des déserteurs ou des opposants.

Problèmes avec Washington

Les relations diplomatiques se tendent aussi, et de manière assez brutale, avec les États-Unis. Deux incidents sérieux opposent Berne et Washington, en septembre. Les Américains accusent une société dont le siège est à Zoug, Marc Rich, d'avoir fait, sur leur propre territoire, des affaires plus que douteuses. Ils parlent de fraudes fiscales énormes, de commerce avec l'ennemi (c'est-à-dire de pétrole acheté à l'Iran de Khomeyni), d'escroqueries et de faux. Ils exigent la production de documents que la Suisse refuse, arguant qu'il faut d'abord établir, en suivant la procédure prévue par le traité d'entraide judiciaire, s'il s'agit véritablement de délits punissables de ce côté-ci de l'Atlantique. Chacun des deux gouvernements semble exaspéré par les prétentions de l'autre, quand le Département américain des Transports soulève un nouveau lièvre et accuse Swissair de détenir un quasi-monopole dans les transports aériens entre la Suisse et les États-Unis. Le géant et le nain se défient du regard : il faudra beaucoup de temps, sans aucun doute, pour réconcilier deux souverainetés blessées.