Et, de fait, si le comité directeur du parti socialiste soutient sans hésiter la rigueur (tout de même), un petit livre signé Mandrin, pseudonyme de plusieurs dirigeants du CERES, conteste la ligne officielle. Les manifestations catégorielles se multiplient. S'il ne s'agit pas vraiment d'un « printemps chaud », il y a bien « printemps aigre » ou « printemps nerveux ». Les protestations se font plus nombreuses avec la rigueur. Ce sont les internes et les chefs de clinique des hôpitaux, puis les médecins hospitaliers qui se mettent en grève contre les réformes des études médicales et de l'organisation hospitalière ; ce sont les étudiants qui manifestent contre le projet de réforme de l'enseignement supérieur : de petits groupes d'extrême droite provoquent même quelques sévères échauffourées avec les forces de l'ordre. Ce sont les agriculteurs bretons qui dressent des barrages pour protester contre la baisse du cours du porc ; si, le 1er mai, CGT, CFDT et FEN défilent côte à côte pour la première fois depuis longtemps, la foule n'est pas nombreuse et l'on parle plutôt des petits patrons mécontents du SNPMI de Gérard Deuil qui forment un autre cortège plus insolite ; la Confédération générale des petits et moyens entrepreneurs, le CID-UNATI protestent de leur côté. Mais on relève surtout en juin des défilés de policiers en colère dont les actions suscitent de promptes sanctions. En somme, l'électorat de droite se remobilise visiblement. La crise réveille aussi le racisme. Les attentats, les crimes, parfois les affrontements avec la police dans les quartiers les plus déshérités où sont concentrés les immigrés autour des grandes villes font du bruit et participent au sentiment d'insécurité.

François Mitterrand tente d'y faire face en affirmant en chaque occasion sa résolution et le souci de faire respecter l'autorité de l'État. L'opposition s'organise. Mais ce sont plutôt l'impopularité de la rigueur, les remous de la gauche qui entament le crédit de l'exécutif. Le numéro deux du PS, Jean Poperen, dans un rapport remarqué, insiste sur la morosité du « peuple de gauche » et souligne la nécessité de poursuivre une politique de changement qui satisfasse l'électorat de gauche. Jean-Pierre Chevènement, commençant la préparation du congrès socialiste organisé à la fin de l'année, continue d'exprimer de vives critiques contre la ligne Mauroy-Delors. Le PCF, déjà très mécontent des prises de position internationales, prend des distances avec la logique de la rigueur. PC et PS reculent désormais l'un et l'autre aux élections partielles, et même dorénavant le PS (qui part de beaucoup plus haut) plus que le PC.

À la rentrée, le temps a fait son œuvre, la rigueur produit ses premiers vrais effets. Les sondages sont détestables et les verdicts électoraux sévères. Aux élections sénatoriales de septembre (renouvellement du tiers des sièges), la gauche perd 12 élus. Surtout, aux élections municipales partielles de Dreux, le Front national de Jean-Marie Le Pen réussit une vraie percée, 16,7 % des voix, la liste d'opposition accepte une fusion pour le second tour. La droite remporte, mais l'épisode a fait scandale. Simone Veil déplore cette compromission. Les centristes approuvent Simone Veil, les dirigeants du RPR et de l'UDF lui donnent tort. Y aura-t-il radicalisation de la droite ? Dimanche après dimanche, à Sarcelles, à Antony, à Villeneuve-Saint-Georges, à Aulnay-sous-Bois, des maires communistes invalidés se font battre et doivent abandonner à l'opposition d'importantes communes de la région parisienne. Le PCF s'indigne de ce qu'il présente comme une « campagne de basses calomnies ». Les électeurs en jugent autrement. Les élections organisées à la Sécurité sociale indiquent exactement les mêmes tendances ; la CGT et la CFDT sortent sensiblement affaiblies de la consultation, les syndicats réformistes, modérés ou catégoriels se renforcent au contraire. Les grèves des tris postaux exaspèrent le monde patronal. La querelle de l'école privée mobilise, à Nantes, successivement 120 000 partisans des écoles libres et quelques semaines plus tard 100 000 défenseurs de l'école laïque. Le projet de loi sur la presse écrite, qui vise principalement le groupe Hersant, déclenche lui aussi de très vives polémiques entre la gauche (et notamment Pierre Mauroy) et l'opposition. Les clivages se creusent.