Soucieux de freiner le déclin du SDLP nord-irlandais, nationaliste modéré, face aux progrès inquiétants du Sinn Fein (extrémiste, proche de l'IRA), Garret FitzGerald inaugure à Dublin, le 30 mai, le Forum pour une nouvelle Irlande qui rassemble les trois principaux partis de la République et le SDLP, afin d'étudier et de proposer d'ici la fin de l'année une alternative crédible au statu quo politique ulstérien. Le Sinn Fein n'a pas été convié, d'autres formations — Unionistes officiels, Unionistes démocrates protestants du pasteur Paisley et parti interconfessionnel de l'Alliance — ont décliné l'invitation, tout comme le Workers Party d'Irlande du Sud. Cette sous-représentation limite donc notablement l'intérêt du Forum, qui devrait cependant permettre de clarifier l'attitude des formations nationalistes modérées de part et d'autre de la frontière.

La montée de la contestation

Sur le plan intérieur, on assiste à un prodigieux rétablissement du leader de l'opposition, éclaboussé par le scandale des écoutes téléphoniques mises en place sous son gouvernement. Malgré la démission du chef de la police, de son adjoint, de deux ministres du cabinet fantôme, et la fronde qui fait rage au sein du Fianna Fail, Charles Haughey élimine ses rivaux, réforme son parti et accroît sa popularité dans le pays, en proportion inverse des difficultés économiques auxquelles la coalition s'efforce de trouver remède.

Les chocs pétroliers de 1973-1974 et de 1979 ont gravement déséquilibré une économie ouverte et encore fragile. Avec un déficit budgétaire avoisinant 1 milliard de livres, un endettement dépassant 40 % du PIB, heureusement compensé par la vigueur soutenue des exportations, et 15 % de la population active au chômage, la situation exige une médication radicale. Le budget déflationniste de février y pourvoit : en augmentant les impôts de 202 millions de livres, en opérant des coupes sombres dans les dépenses publiques, il prépare la voie à une diminution importante du pouvoir d'achat. Ce traitement de choc est accompagné en mars par la dévaluation de la livre irlandaise, qui perd 4 % en moyenne par rapport aux principales monnaies du SME. Le patient se rebelle : le 13 avril, plus de 150 000 personnes descendent dans la rue pour protester contre la pression fiscale. Impuissante à résorber le chômage et à enrayer compressions de personnel et fermetures d'usines, la politique suivie par le gouvernement de Garret FitzGerald ramène cependant le taux d'inflation à 9,2 % au mois de mai, au lieu des 12 % escomptés.

Climat empoisonné

Alors que la tourmente économique fait des ravages, l'Irlande tranche avec passion un débat qui semble bien éloigné des réalités d'un pays en crise, confronté de plus à la tragédie nord-irlandaise.

Fin avril 1981, un lobby anti-avortement a arraché aux aspirants au pouvoir la promesse d'inclure dans la Constitution un article proscrivant l'avortement, déjà interdit par une loi datant de 1861. Pressé d'honorer une promesse donnée un peu à la légère, acculé par Charles Haughey qui s'érige en champion du dogme et de la morale catholiques, Garret FitzGerald s'incline en renâclant. Cette initiative va en effet à contre-courant de la croisade pour une Irlande pluraliste et sécularisée à laquelle, depuis septembre 1982, son nom et sa réputation sont liés. Elle conforte l'image de bigoterie sectaire entretenue par les Unionistes du Nord et fait planer un sérieux doute sur la volonté des Irlandais du Sud de se fondre dans une nation réunifiée dégagée des influences cléricales. Elle est enfin un mauvais coup porté au Forum. Mais la question, devenue politique, est envenimée par les passions déchaînées des promoteurs et adversaires de l'amendement constitutionnel.

Jamais sans doute depuis la guerre civile de 1922, on n'avait vu un tel déferlement d'attaques personnelles, d'arguments spécieux, de propos incendiaires. Les partis, les syndicats, la profession médicale, la justice, les villes et les campagnes se divisent et s'affrontent sans pitié. Le résultat de cette incroyable poussée de fièvre est décevant pour tous : le référendum du 7 septembre ne mobilise que 53,6 % de l'électorat. Si les partisans de l'amendement constitutionnel l'emportent clairement avec 66,45 % des suffrages exprimés contre 32,87 % à leurs adversaires, ils n'en représentent pas moins une force qui ne dépasse pas 36 % de l'électorat total.