La réponse dépendra dans une grande mesure de l'état général des relations Est-Ouest, principale inconnue de l'équation internationale en cette fin de 1983. Sans doute la plupart des conflits déjà évoqués, comme ceux qui ont continué d'ensanglanter l'Irlande, l'Angola, l'ancien Sahara espagnol, le Cambodge, ne dépendent-ils pas uniquement de l'antagonisme Est-Ouest. Sans doute aussi les crises internes qui secouent encore périodiquement les États du tiers monde — du Chili aux Philippines en passant par le Pakistan et le Sri Lanka — ne doivent-elles rien à la « main de Moscou ». Mais la rivalité soviéto-américaine, l'intérêt que peut avoir l'Union soviétique à exploiter les événements et, en sens inverse, le rôle de garant de la stabilité mondiale qu'entendent assumer les États-Unis pèsent sur ces crises. Le Kremlin est d'ailleurs directement impliqué dans deux d'entre elles, la guerre en Afghanistan et la difficile normalisation en Pologne : Lech Walesa, héros de la contestation syndicale, reçoit en octobre 1983, avec le prix Nobel de la paix, une consécration internationale.

Raidissement

L'année 1983 aura vu les relations entre les deux superpuissances grimper à un niveau de tension rarement atteint depuis quelque vingt ans. À Washington, le président Reagan poursuit son escalade verbale contre l'URSS, qualifiée d'« empire du mal » et — tout en montrant son muscle en Amérique centrale et au Liban — il poursuit résolument son programme d'accroissement de la puissance militaire américaine. Quelques timides velléités de reprendre langue avec Moscou, notamment dans le cours de l'été, sont promptement enterrées dans le flot d'indignation qui suit la froide destruction par la chasse soviétique d'un avion civil sud-coréen avec 269 personnes à bord, le 1er septembre.

Raidissement également à Moscou, où ce grave incident — aussitôt attribué à une odieuse provocation » américaine — sert de prétexte à une relance tous azimuts de la campagne contre l'Amérique de Ronald Reagan. Il est vrai que le Kremlin doit se préparer à avaler une pilule particulièrement amère : le réarmement nucléaire de l'Europe occidentale, qui doit se concrétiser, à partir de la fin de 1983, par l'installation des premiers Pershing II et des missiles de croisière, conformément à la décision prise, quatre ans plus tôt, par l'OTAN d'équilibrer les centaines de nouveaux missiles SS 20 déployés par l'URSS contre l'Europe et l'Asie.

Or, le mouvement pacifiste sur lequel Moscou comptait le plus pour faire barrage à ce projet a reçu un coup sévère, en mars, avec la victoire aux élections générales, en Allemagne fédérale, du chancelier Kohl et de ses amis chrétiens-démocrates. En Grande-Bretagne également, c'est une anticommuniste virulente, Mme Thatcher, qui a triomphé en juin d'un parti travailliste en plein désarroi. Même la France, pourtant dirigée par un gouvernement de gauche à participation communiste, n'a jamais été aussi ferme dans son soutien aux missiles de l'OTAN, ni aussi froide dans son dialogue avec Moscou (elle l'a prouvé en expulsant de Paris, en mars, 47 diplomates et représentants soviétiques).

Trou noir

Une mauvaise année, par conséquent, pour la diplomatie soviétique, mis à part la valeur de nuisance enfin retrouvée au Proche-Orient et au Liban. Mais il faut aussi compter, pour expliquer la crispation antiaméricaine qui se produit à Moscou à la fin de l'année, avec une situation intérieure complexe, une succession au sommet qui est loin d'être aussi bien réglée qu'on l'avait dit à la mort de L. Brejnev, un an plus tôt. Bien qu'ayant hérité toutes les casquettes de son prédécesseur — y compris celle du chef de l'État, en juin —, Youri Andropov est pris en sandwich entre un appareil de parti, sur lequel son rival battu C. Tchernenko exerce encore une forte influence, et une stratocratie militaire, qui — si elle l'a porté au pouvoir — entend bien soumettre le nouveau maître du Kremlin à toutes ses exigences. Et les accents incontestablement novateurs de Youri Andropov, ses appels à la discipline du travail et au combat contre la corruption se heurtent à la lassitude d'une population désabusée et à l'inertie d'une bureaucratie encore très solidement installée.