Le désenchantement

Ces douze derniers mois, en effet, ont été marqués par une nette aggravation des tensions internationales, par une plus grande implication de la France dans les foyers de confrontation (Europe, Afrique, Moyen-Orient) et, à l'échelle hexagonale, par une accentuation de la politique économique de rigueur qui, toute sociale qu'elle se veuille, n'en suscite pas moins un vif mécontentement. 1981 avait été l'année du changement, de la liesse pour certains, de l'optimisme pour beaucoup. 1982 a été l'an du retour sur terre, durement ressenti par les classes moyennes et par une fraction de l'électoral de la gauche. 1983 s'achève sous le signe du désenchantement.

Amertume d'une partie de l'électorat communiste qui ne trouve de satisfaction ni dans la politique extérieure ni dans la politique économique, déception plus discrète de franges socialistes, mobilisation surtout d'une opposition revigorée et durcissement de l'aile droite la plus extrémiste : autant de traits qui expliquent les échecs de la majorité aux élections municipales de mars, puis tout au long du chapelet des élections partielles et du renouvellement sénatorial. Du coup, le gouvernement de Pierre Mauroy a dû faire face à une vague de grogne qui s'est traduite par des manifestations catégorielles et par une chute brutale dans les sondages. À l'aune des enquêtes d'opinion, l'état de grâce est bien loin...

Même si le président de la République, après avoir battu les records d'impopularité, voit, son action internationale aidant, sa cote remonter, il n'en va pas de même de l'équipe ministérielle qui atteint éprouvée la fin de l'année. Une année difficile, assombrie par l'imbrication d'une situation internationale dangereuse et d'une situation économique intérieure inquiétante. La détermination ne va pas sans risques, la rigueur est rarement bien accueillie ; si elles réussissent, leurs effets ne sauraient être que progressifs et les premiers fruits politiques ne peuvent être qu'amers. 1983 apparaît bien comme une année de décisions sévères et peu populaires.

Fermeté de F. Mitterrand : accents gaulliens et solidarité occidentale

L'action de la France, c'est-à-dire, pour l'essentiel, de François Mitterrand, aura été à la fois nette et hardie. La présidentialisation de la politique étrangère, phénomène habituel sous la Ve République a, en effet, été si patente en 1983 qu'elle en est devenue une dimension majeure du débat interne. Le chef de l'État a engagé la France sur trois théâtres cardinaux : la grande querelle des euromissiles — sujet clé de l'année internationale —, la poudrière du Moyen-Orient, l'Afrique noire d'expression française.

Pour un rééquilibrage nucléaire

Novembre 1983 a en effet enregistré le déploiement des premières fusées américaines Pershing II et des premiers missiles de croisière occidentaux destinés à répliquer aux SS-20 soviétiques déjà installés. La négociation de Genève entre Américains et Soviétiques, qui tentait d'aboutir à une réduction équilibrée de ces euromissiles, a donc été suspendue. Dès son célèbre discours au Bundestag d'Allemagne fédérale en janvier, François Mitterrand a proclamé la réalité du déséquilibre au bénéfice des Soviétiques en matière de fusées à portée intermédiaire et la nécessité de parvenir à un rééquilibrage équitable, soit par la négociation, soit à défaut par le déploiement des armes américaines afin de tenter d'enclencher ensuite sur des bases solides un processus de réduction équilibrée des forces.

Cette déclaration a produit l'effet d'un coup de tonnerre dans l'Hexagone comme dans les principales capitales du monde. Le chef de l'État ne démordra pas ensuite de ses thèses. Moscou dénonce violemment à plusieurs reprises son « atlantisme ». Les Soviétiques répliquent surtout en revendiquant la prise en compte des forces de frappe française et britannique dans les négociations, ce que François Mitterrand écarte absolument, arguant qu'il s'agit d'armes d'une autre nature et que, de toute façon, la France n'appartient pas à l'organisation militaire intégrée de l'OTAN. Le président français reprend ces idées à de nombreuses occasions, tant à la télévision que lors de voyages officiels à l'étranger. Il le fait notamment aux Nations unies, à Bruxelles où il relève que « les pacifistes sont à l'Ouest et les fusées à l'Est », puis, longuement et de façon spectaculaire, quelques jours avant l'échec de Genève à L'heure de vérité sur Antenne 2. L'URSS ne cache pas son mécontentement. Les points de vue n'ont été rapprochés ni par le voyage à Moscou de Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures, ni par celui à Paris d'Andrei Gromyko, son homologue soviétique. Le plus grand débat de l'année fait donc apparaître le président socialiste comme un allié sûr des États-Unis, comme un membre particulièrement décidé de l'alliance atlantique.

Jeu politique et pacifisme

Cette prise de position est soulignée par l'expulsion en avril de 47 diplomates soviétiques soupçonnés d'espionnage et par une ferme condamnation de Moscou — qui n'est cependant pas suivie de sanctions véritables — après la destruction par les Soviétiques d'un Boeing 747 civil des lignes sud-coréennes. Le parti communiste se démarque à plusieurs reprises de François Mitterrand. Le PCF est hostile au déploiement des Pershing II et appuie de son mieux le mouvement pacifiste français, à qui il fournit, du reste, l'essentiel de ses troupes. Malgré un notable succès populaire de la « fête de la Paix », organisée en juin à Vincennes (250 000 à 300 000 participants), le pacifisme français n'a d'ailleurs pas l'audience qu'il connaît chez nos voisins. Le soutien du PCF et de la CGT l'aide et le dessert à la fois ; le fait que les fusées américaines sont déployées hors de France le handicape ; la fermeté de François Mitterrand sur cette question empêche le parti socialiste de soutenir le pacifisme en quoi que ce soit, contrairement à ce que font ses homologues dans le reste de l'Europe occidentale. Si en septembre la CFDT se rapproche à son tour du pacifisme, c'est au sein d'une organisation indépendante. L'épiscopat catholique français manifeste publiquement — contrairement à ce qui se passe aux États-Unis — sa compréhension pour les thèses gouvernementales. Le parti communiste, si opposé qu'il soit au déploiement des Pershing et des missiles de croisière, provoque cependant une polémique en adoptant, à propos de la prise en compte de la force de frappe française, les mêmes thèses que les Soviétiques, auxquels une délégation de la direction du PCF, menée par Georges Marchais, a rendu visite en juillet. Le PCF tient cependant à ne pas faire de cette divergence la source d'un conflit politique majeur, comprenant bien qu'une opposition trop vive sur un tel terrain apparaîtrait au moins maladroite.