En effet, une grande partie des courants qui influencent l'Europe, et la France en particulier, proviennent des États-Unis, et notamment de Californie. La contre-culture hippie qui constituait le soubassement des mouvements de 68 a pris naissance autour de San Francisco. Moins de vingt ans plus tard, la génération des pacifistes gauchisants, communautaires et écologistes, s'est transformée et rejette de son passé la dimension utopique et messianique. De ses engagements antérieurs, cette génération conserve une certaine forme d'hédonisme, de volonté d'agir sur soi-même pour une plus grande satisfaction personnelle. C'est la croyance en de nombreuses thérapies qui se multiplient dans tous les États-Unis et qui ont peu à peu gagné l'Europe.

Cette « thérapisation » a d'abord eu pour conséquence de faire reculer l'influence de la psychanalyse freudienne. Elle a abouti ensuite à une promotion du corps considéré, non plus seulement comme un capital à entretenir par la gymnastique, le jogging, l'alimentation naturelle, mais comme une fin en soi ; la bonne intégration dans la société est d'abord signifiée par une forme physique irréprochable. De même, le succès croissant en France des sports individuels comme le tennis et des sports dits « californiens » (surf, planche à voile, Delta-plane, etc.) témoigne de cette recherche personnelle d'un bon équilibre physique et aussi d'une communication avec la nature (mer, air, forêt).

Nouveaux pères

L'individualisation des conduites se retrouve également dans les nouveaux équilibres qui sont recherchés au sein de la cellule familiale.

Si une vie de couple harmonieuse et le fait d'avoir des enfants (mais pas trop d'enfants) demeurent pour la majorité les grands objectifs à atteindre, il est incontestable, par ailleurs, que le modèle de la famille nucléaire (parents + enfants, à l'exclusion croissante des grands-parents et des collatéraux) est chaque année davantage remis en cause. L'augmentation des divorces ne se dément pas. La courbe de natalité ne cesse de décroître. Dans le même temps, on assiste à une redéfinition du statut de la paternité et, plus largement, de l'homme. L'image patriarcale traditionnelle est battue en brèche au profit d'une conception plus « maternante » du père. C'est ce qu'on a appelé les « nouveaux pères ». Surtout dans les classes moyennes, les hommes revendiquent leur participation au soin des enfants. Les mouvements de pères divorcés se développent et réclament en de nombreuses occasions des modifications de la jurisprudence, qui d'ordinaire confie la garde des enfants à la mère.

Au-delà de ce nouveau partage des responsabilités entre l'homme et la femme, c'est sans doute une autre configuration de la famille qui est en train de se dessiner. Une configuration dans laquelle le rapport entre parents et enfants ne se définirait plus au sein d'un ensemble familial fermé et homogène, mais bien plutôt en fonction des rapports parallèles avec le père d'un côté, la mère de l'autre.

La « parentalité » devient donc ainsi une relation individuelle d'adulte à enfant, ce dernier se situant par rapport à ses deux géniteurs, mais séparément, et non plus par rapport à la trilogie œdipienne, père + mère + enfant, chère à Sigmund Freud.

À cet égard, les projets de transformation du patronyme — celui-ci ne devant plus être exclusivement le nom du père — vont exactement dans le sens de cette évolution.

L'entreprise et le temps choisi

L'augmentation exponentielle des dépenses sociales de la nation ne peut se poursuivre. Il faut donc réagir et d'abord contenir la consommation sociale. Ce premier choix pourrait impliquer à terme l'acceptation de l'assurance volontaire pour le petit risque (courte maladie, intervention chirurgicale bénigne). On voit ainsi se dessiner les arbitrages individuels qui découleraient d'un tel changement dans la politique de santé. Il est évident que les correctifs devraient être alors mis sur pied pour ne pas pénaliser les milieux les plus modestes, les moins culturellement préparés à de tels arbitrages, sauf à tomber dans les vieilles coutumes rurales, selon lesquelles on n'appelait le médecin qu'en dernière extrémité. Plus généralement, on se dirige peut-être vers une sorte de généralisation des choix individuels pour ce qui est des modes de consommation et de travail. Ce phénomène porte sur le temps de travail (plein temps, temps partiel, période sabbatique, emplois partagés). C'est ce que Jacques Delors a appelé la révolution du temps choisi. Mais la tendance intéresse aussi l'intensité du travail. Ainsi, selon une enquête réalisée en 1982 par le cabinet Evrosearch, 57 % des entreprises interrogées envisageaient de modifier leur politique d'augmentation des cadres dans le sens d'une plus grande sélectivité, c'est-à-dire d'un arrêt des augmentations générales automatiques et d'une priorité à la rémunération à la performance. Enfin, pour l'âge de la retraite, la fin de la vie active pourrait se produire à la carte, en fonction des choix personnels, et non plus selon un âge prédéterminé pour tous.