Il en va de même pour la plupart des phases culturelles du néolithique et de l'âge du bronze. Au néolithique final, le groupe de Lüscherz est ainsi daté de 2830 à 2630 avant notre ère : des arbres ont été coupés à peu près tous les ans dans tous les sites connus de cette phase jusqu'à cette dernière année... et pas un seul après. On en conclut que tous les sites ont été abandonnés à ce moment-là. Les bords des trois lacs de Neuchâtel, Bienne et Morat ont été désertés en même temps. La dendrochronologie permet de découvrir des événements. Cette fois, il s'agissait sans doute d'une montée catastrophique des eaux, événement qui s'est produit plusieurs fois. Nul besoin d'imaginer des hordes d'envahisseurs.

Les hommes ne sont pas revenus de sitôt. Ils ont dû attendre plusieurs dizaines d'années. À leur retour, vers 2550, ils appartiennent à ce qu'on a appelé le groupe d'Auvernier. Ce n'est que la continuation de la même culture. L'étude des céramiques montre une évolution continue et des remplacements progressifs dans les types de récipients, sans rupture. C'est bien la même tradition culturelle que l'on voit évoluer au bord des lacs suisses depuis le début du IVe millénaire. Mais ce groupe d'Auvernier fait lui-même partie d'un ensemble plus vaste qu'il a d'ailleurs permis de découvrir et de définir : la civilisation Saône-Rhône. Ainsi, paradoxalement, les distinctions très fines qui deviennent aujourd'hui possibles dans le temps et dans l'espace aboutissent à remettre quelque peu en question la notion de culture. Pour les archéologues (qui n'ont que des objets), une culture n'est plus qu'un complexe, une sorte de continuum, aux limites arbitrairement définies.

Le métal n'apporte pas de bouleversement. On trouve quelques objets de cuivre dans la phase d'Auvernier. Puis viennent des outils et des armes de bronze. La Suisse lacustre fait donc son entrée dans l'âge du bronze. Cependant on observe peu de changements dans les autres domaines : c'est bien le même monde qui continue.

Villages

Bien entendu, ces villages se trouvaient sur les rives, non sur des pilotis au-dessus de l'eau comme l'a voulu la légende des cités lacustres. Tout prouve que l'on vivait sur les sols mêmes dégagés par les archéologues : restes de chemins, de places, de ruelles ; chapes d'argile dont certaines ont supporté des foyers. On peut, dans certains cas, avoir une idée du plan et des dimensions des villages. Au bronze final, autour de l'an 1000 av. J.-C., le village de Cortaillod-Est mesurait 80 m sur 80 m, celui de Bevaix-Sud 70 sur 70. Celui de Concise-V avait 140 m de long. À cette époque, tous les villages étaient entourés d'une palissade destinée sans doute à maintenir le bétail dehors ou, comme à Auvernier-Nord, renforcée pour servir de brise-lames du côté du lac.

À l'intérieur, les maisons sont en général disposées en rangées parallèles — 8 à Cortaillod-Est, 17 à Consise-V — séparées par des ruelles. Les plans donnent une impression d'ordre, évoquent une société bien réglée, organisée. On arrive à distinguer les maisons par la disposition des pieux, leur âge, l'espèce d'arbre dont ils sont faits. Ces maisons sont à trois rangées parallèles de quatre pieux dans tel village, à quatre rangées dans tel autre. Leurs dimensions vont de 7 à 10 m de long pour une largeur de 4,5 à 6,5 m à Auvernier-Nord par exemple. Comme les villages, elles peuvent être datées. Une maison de Cortaillod-Est a ainsi existé de 909 à 904 av. J.-C.

Budget

Toutefois, les sites étudiés jusqu'ici étaient incomplets. Il en manquait toujours une partie à cause de travaux, de fouilles anciennes ou simplement de l'érosion. D'où l'intérêt de Champréveyres : on pourra aller plus loin, étudier les structures et peut-être la vie d'un village entier. Les fouilleurs dirigés par Beat Arnold disposent de deux ans pour dégager ces 13 000 m2.

Ils en ont les moyens. Le site se trouve sur le futur tracé de la route nationale 5 qui prévoit de combler une baie du lac. Or, en Suisse, la loi met à la charge des maîtres d'œuvres les fouilles qui doivent être faites à l'emplacement des futurs chantiers routiers. Le service des fouilles du canton de Neuchâtel appartient du reste au département des travaux publics. Pour ce site et les deux qui suivront, un budget de 12 millions de FS (43 millions de FF) a été prévu. « C'est juste ce qu'il nous fallait », disent les archéologues de Neuchâtel.