Robert Kanters

Poésie
En plein regain

Aux signes extérieurs cela se confirme, la poésie est en plein regain. Pourtant, il ne suffit pas d'une fête de la poésie (23 avril) ou d'un festival (Polyphonix, 6-19 juin), encore faut-il des livres et des lecteurs.

L'entrée de René Char dans « la Pléiade » est-elle un test concluant, et que faut-il penser de la multiplication des anthologies : Le vingtième siècle français (Poche, Gallimard), la réédition des deux excellents volumes du Panorama xixe, xxe siècle, de G-E. Clancier, L'école de Rochefort (Seghers) ou encore la passionnante Anthologie arbitraire de H. Deluy (Flammarion), sans oublier la fantastique Anthologie de la poésie russe du xviiie au xixe siècle, présentée par E. Etkind (Maspero). Les aînés publient — A. Césaire, B. Noël, A. Chedid — et aussi les plus jeunes — P. Delbourg, S. Fauchereau, L. Ray, J. Ristat (qui dans sa revue Digraphe rend publics des inédits surréalistes et honore Aragon) ; une découverte, W. Cliff, América (Gallimard), et le retour de R. Brasillach. Traduits de l'étranger, il faut surtout retenir les 95 poèmes de l'Américain E. E. Cummings, et le quatrième volume de l'œuvre complète de W. Blake (Flammarion). Également des Italiens : les Poèmes de Michel-Ange, excellemment présentés par P. Leyris (Mazarine) ; Soleil et vent, de P-A. Quarantotti Gambini (L'Âge d'Homme). Le Grec O. Elitis, prix Nobel 1978, paraît chez Maspero et le Centre Pompidou honore C. Cavafy (avril). Les biographies de poètes se succèdent : un très important Rimbaud, par E. Starkie (Flammarion) ; la réédition du Lamartine de M. Toesca (Albin Michel) ; l'Hölderlin décisif de P. Bertaux (Gallimard) ; Lorca, par A. Belanich (Idées - NRF). Le même Gallimard poursuit la correspondance de Mallarmé, tandis que celle de Goethe n'empêche pas les Presses d'Aujourd'hui de disparaître.

Deux livres exceptionnels marquent 1983 : La correspondance à trois de Rilke, Pasternak, Tsvétaïeva (Gallimard) et le Baudelaire de W. Benjamin (Petite Bibliothèque Payot). Bref, une année qui voit poindre la fin de la crise en poésie.

Claude Glayman

Lettres étrangères

Une confirmation de talents

Dans les conversations de bon ton, il est courant d'opposer l'épanouissement du roman étranger à l'assèchement du roman français. Même si elle peut paraître injuste — le livre étranger nous arrive sélectionné, le français beaucoup moins —, la comparaison soulève un vrai problème. Le roman se porte mieux, il est vrai, dans le monde qu'en France. Et ce n'est pas l'année 1983 qui nous démentira, bien que le cru international apparaisse plus de consolidation que de découverte. Pratiquement, tous les éditeurs publient des traductions, mais ce sont les formats de poche et bon marché qui littéralement explosent en collections étrangères, plus insatiables encore que leurs lecteurs.

L'Amérique du Sud n'a pas quitté la première place ; viennent ensuite les Anglo-Saxons, avec une prime évidente pour la Grande-Bretagne (Commonwealth inclus) et d'une manière générale pour les romancières, d'hier et d'aujourd'hui. L'Italie et l'Allemagne de l'Ouest occupent de plus en plus de terrain. La littérature russe est toujours très riche, mais des nations moins peuplées, moins puissantes nous envoient des messages ; on y découvre la confirmation de talents et des réalités fort éloignées de la nôtre : confirmation de l'Autriche, d'Israël ou du Japon, percée de la Tchécoslovaquie, de la péninsule Ibérique, mais un certain piétinement de la Scandinavie.

Lors du séjour parisien de Jorge-Luis Borges, en janvier, écouter au Collège de France une conférence de cet immense écrivain, aveugle et poète, francophone et philosophe, constitue un spectacle inoubliable, quand, de plus, au parterre se pressent Henri Michaux, Claude Simon, Yves Bonnefoy, Raymond Aron, etc. De l'illustre Argentin, fait commandeur de la Légion d'honneur par le président de la République, Gallimard publie des poèmes inédits Rose profonde et une biographie de E. R. Monegal.