En Avignon, au cours d'un festival spécialement consacré aux créations contemporaines, deux d'entre elles retiennent l'attention, non sans quelques réticences. Les Dernières nouvelles de la peste nous y arrivaient de Strasbourg, dans une mise en scène rigoureuse de Jean-Pierre Vincent, la dernière qu'il aura signée au TNS. Savant collage de bribes diverses, le texte de Bernard Chartreux pouvait égarer quelque peu le spectateur non prévenu. Restaient cependant de menus vestiges de Daniel De Foe, et une — trop ? — intelligente, divagation sur ce thème riche en prolongements. Pour Les céphéides, de Jean-Christophe Bailly, était-il nécessaire de comprendre une rêverie nocturne qui se voulait impressionniste, et peut-être plus proche de la spéculation abstraite que de l'art dramatique selon les traditions ? Il fallait s'abandonner à la magie des lumières, au climat créé par Georges Lavaudant, grand maître de ces fantasmagories.

Le monde sur scène

Au Théâtre de la Ville, qui devait précisément accueillir Les céphéides en fin d'année, on a pu voir aussi deux réalisations qui auraient dû être des événements : Les bas-fonds, tels que les a explorés Lucian Pintilié, et l'adaptation du roman de Boulgakov, Maître et Marguerite, par Andrei Serban. Mais le premier de ces spectacles se perdait dans une confusion d'accents et d'idées, qui ne pouvait en aucun cas faire oublier l'admirable travail de Gildas Bourdet sur le même thème, quelques semaines auparavant. Notons en passant que Gorki aura été à la mode cette année, puisqu'on a donné en même temps, à la Comédie-Française, une version, un peu lente quoique belle des Estivants... Quant au second spectacle du Théâtre de la Ville, il faut bien constater son échec, malgré la présence très forte de l'acteur américain Bruce Myers : on ne peut pas porter un monde romanesque à la scène sans le réduire à sa propre caricature.

Un monde, c'est bien le terme qui convient pour définir l'univers des Paravents, tel que Patrice Chéreau l'a reconstitué à Nanterre, maquillant la salle des Amandiers en cinéma des années 50 pour y déployer la grande saga sacrilège de Jean Genet. Près de vingt ans après sa création, la pièce a perdu de sa virulence politique, mais elle y gagne en profondeur et devenait ici une imposante cérémonie funèbre, ardente et désespérée, dominée par l'apparition quasiment historique de Maria Casarès, seule survivante de la distribution originale. Un des moments phares de cette saison, auquel il faut associer l'autre mise en scène de Chéreau, consacrée au Combat de nègres et de chiens du jeune Jean-Marie Koltès. Une aventure africaine singulière, une sorte de mélodrame noyé dans la brume, et quelque peu écrasé par un colossal décor d'autoroute, digne d'Hollywood. Le succès fut néanmoins assuré grâce à la présence — et au talent superbe — de Michel Piccoli, monstre sacré enfin revenu à la scène, depuis la fameuse Cerisaie de Brook, aux Bouffes du Nord.

Mise en scène
L'année Chéreau

La passion du théâtre à 13 ans, le prix des Jeunes Compagnies à 23, la célébrité dix ans plus tard, c'est un galop conquérant que la carrière de Patrice Chéreau. Après avoir fait du groupe amateur de Louis-le-Grand une véritable école du théâtre, le jeune talent de Chéreau se révèle à la critique en 1967, grâce à sa très frappante mise en scène des Soldats, de Lenz, où se lit encore l'influence de Strehler. Aussitôt chargé d'animer le théâtre de Sartrouville, il y donnera quelques créations remarquables — dont un Dom Juan assez révolutionnaire —, mais ses spectacles, déjà, sont fort coûteux, et son expérience périphérique se termine par un déficit de 40 millions de F, qu'il mettra plusieurs années à rembourser, sur ses propres derniers.

Contraint de s'expatrier, Chéreau s'installe au Piccolo Teatro de Milan, où il succède à Strehler, qui vient de le quitter. Ce bref séjour sera pour lui une bénédiction : il découvre là-bas ce qu'est une véritable troupe professionnelle, aguerrie, et assied définitivement sa réputation de metteur en scène. Au retour, le ministre Jacques Duhamel lui confie — avec Roger Planchon, autre maître de son adolescence — la codirection du TNP de Villeurbanne. Il y signera plusieurs prestigieux spectacles, en particulier Massacre à Paris, le Lear de Bond, et La dispute, de Marivaux, ainsi qu'un Peer Gynt en deux époques, qui feront date dans l'histoire du théâtre.