Bourse

Nationalisations et dévaluations

Juin 1981 : les élections législatives viennent confirmer le scrutin présidentiel de mai et donnent à François Mitterrand la Chambre introuvable. Les socialistes ont tout pouvoir. Et la Bourse voit s'envoler ses dernières illusions. Le mal toutefois est déjà fait, puisque le marché a perdu 30 % depuis le 10 mai et que la brèche ouverte à la fuite des capitaux a été colmatée par l'instauration de la devise-titre. C'est l'heure des vacances, le moment de revenir aussi à une appréciation plus nuancée des choses.

L'occasion est même rêvée pour que se développe la traditionnelle hausse d'été. Tout excès appelle en effet un correctif. Et les reprises sont parfois d'autant plus sensibles que c'est aussi le temps des rumeurs, voire le temps des coups pour ceux qui sont dans le secret, ou croient l'être, du nouveau pouvoir. Les nationalisations ont été annoncées de longue date. Elles restent à faire et sur des bases que le marché cherche à deviner. Très vite, les valeurs nationalisables redressent la tête. Et, comme ce sont souvent les plus importantes, elles entraînent la cote.

Si l'on admet qu'il n'y aura pas spoliation, alors il faut acheter tant les cours de juin sont tombés à de bas niveaux. C'est là un pari qui se révélera largement gagnant quand viendra le temps des comptes. Favorisée par le creux de l'été, la reprise est même plus forte qu'attendu, puisque le marché parvient à récupérer, en termes d'indice, les deux tiers de ses pertes. C'est inespéré.

Le retour des vacances exige plus de réalisme, même si certaines satisfactions sont durables. C'est ainsi que le critère du milliard de francs de dépôts retenu pour la nationalisation des banques permet aux établissements de crédit d'échapper à la mainmise de l'État. Le groupe de la Compagnie bancaire, largement représenté en Bourse, restera donc dans le domaine privé, mais non les filiales bancaires de La Hénin.

Franc et mark

La concurrence des obligations, dont les taux se maintiennent à des niveaux très élevés, interdit toutefois à la reprise de se prolonger davantage et cela même si les placements liquides sont pénalisés en septembre par le relèvement de 100 000 à 500 000 F du seuil à partir duquel ils peuvent être librement rémunérés. Il faut en outre songer à défendre le franc qui donne des signes de faiblesse. Le 20 septembre, des mesures d'urgence doivent être prises : le taux du marché monétaire est relevé à 18,5 %, les importateurs se voient interdire toute couverture à terme. C'est insuffisant pour empêcher un premier réajustement, le 3 octobre, au sein du Système monétaire européen. Franc et mark font chacun une partie du chemin : le premier est dévalué de 3 %, le second réévalué de 5,5 %.

C'est trop peu pour stimuler la Bourse et ce d'autant plus que rien n'est fait pour dissiper les inquiétudes concernant l'avenir. À l'intérieur comme à l'extérieur, les préoccupations ne manquent pas : le cap des deux millions de chômeurs est passé, le président Sadate assassiné, le processus de libéralisation en Pologne condamné à plus ou moins brève échéance.

Les cours se remettent donc à dériver, et ce n'est pas la publication de quelques résultats semestriels particulièrement médiocres qui va les retenir : Colas, Générale de fonderie, Le Nickel, pour ne pas parler de l'automobile ni de la sidérurgie.

Émissions actives

En attendant de tirer les conclusions d'une étude plus approfondie des mécanismes de l'épargne, le nouveau pouvoir a eu la sagesse de ne pas remettre en cause les dispositifs en place. L'avoir fiscal est provisoirement maintenu et la loi Monory continue de jouer. Elle va même être prorogée d'un an, offrant aux investisseurs la possibilité de déduire encore en 1982 les cinq ou six mille F consacrés à l'achat d'actions françaises. Ce qui a la sagesse de retarder la sortie des premiers bénéficiaires.

Cette faculté, toujours en vigueur en cette fin 1981, permet au marché de redresser un peu la tête et surtout de voir à nouveau des augmentations de capital en numéraire. Du moins dans des secteurs qui n'ont pas démérité, comme l'alimentation avec Radar, Lesieur ou Mumm. Contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, les émissions d'actions de l'année auront même progressé de 24,2 à 31,5 milliards et, si l'on excepte la contribution exceptionnelle de l'État à l'augmentation de capital de Sacilor (6,8 milliards), il reste un chiffre un peu supérieur au précédent, ce qui n'est pas si mal. Les émissions d'obligations, malgré le creux normal de mai-juin, n'auront elles-mêmes que peu fléchi, à 107 milliards contre 111, dont 25 contre 31 d'emprunts d'État. Une part de 27 % du total des émissions contre 17 % en 1980 revient au seul secteur privé, avec toujours une large prédominance des appels des banques. Avec aussi une multiplication des émissions à taux variable.