Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

L'extrême gauche et l'extrême droite ont pourtant joué un faible rôle pendant cette année 1981-1982. Le terrorisme qui a sévi en France, moins qu'à l'étranger d'ailleurs, a eu des ressorts internationaux, qu'il s'agisse de l'assassinat de diplomates étrangers en poste à Paris ou de l'horrible attentat de la rue Marbeuf.

Il y a bien eu des manifestations paysannes houleuses (à Pau notamment), des échauffourées autour des centrales nucléaires (rien qui s'apparente cependant aux affrontements en Allemagne), des réunions de masse pour ou contre l'école libre. Néanmoins, fort peu de violences physiques en France continentale : seuls, la Corse et le DOM-TOM ont vu des morts d'hommes délibérément provoquées pour des motifs politiques.

Mais, en regard, l'Assemblée nationale (et, trois tons en dessous, le vénérable Sénat lui-même) est devenue le théâtre de grands excès verbaux. Louis Mermaz a donné à sa présidence un tour plus partisan que la coutume ne le voulait.

L'opposition, utilisant toutes les ressources du règlement, a pratiqué une défense parfois proche de l'obstruction. La gauche, unie sur ce point, n'est pas demeurée en reste. Toute l'année, les attaques personnelles n'ont cessé de fuser : c'est ce que l'on a appelé l'effet Berson, du nom d'un jeune député socialiste qui avait pris à partie plusieurs responsables de l'opposition. Mais, en matière de véhémence et d'indignation, l'équité recommande de placer à égalité les uns et les autres. Le président de la République a beau recevoir à plusieurs reprises les responsables des quatre grands partis, le climat est resté à l'invective. Le ton en avait aussi été donné au congrès de Valence, tenu en octobre par le parti socialiste, et où l'esprit de revanche déferlait largement.

Aux assises nationales du RPR en janvier, au 24e congrès du PC en février à Saint-Ouen, l'atmosphère ne fut guère plus apaisée. Se mêlaient des questions de personnes, les scandales de l'heure et les problèmes de fond. Les premières tenaient surtout à ce qui a été nommé la chasse aux sorcières. Elle visait les très hauts fonctionnaires, les dirigeants des entreprises nationalisées, les journalistes les plus connus de l'audiovisuel. Faute de règle du jeu explicite, il y eut nombre de mutations ou de départs imposés qui ont fort alimenté la chronique — surtout lorsqu'il s'agissait de la télévision.

Les scandales ajoutèrent à ces passes d'armes. Qu'il se soit agi de l'affaire d'Auriol, mettant en cause le SAC (Service d'action civique) lié au gaullisme, du suicide de René Lucet (responsable de la Caisse d'assurance maladie de Marseille) qui s'était très vivement opposé à la CGT, ou des querelles opposant direction et CGT chez Talbot ou chez Citroën, ou bien encore des agitations dans la police : autant d'épisodes qui entretinrent l'animosité.

Réformes

Cette animosité se greffait sur les oppositions de fond suscitées par les grandes réformes mises en chantier par la gauche. À de très nombreuses reprises, le Premier ministre Pierre Mauroy, toujours lyrique, toujours optimiste, a célébré le bilan de son gouvernement en soulignant qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait tant fait en si peu de temps depuis le Front populaire.

Quantitativement, en effet, ce n'est pas discutable. La très importante loi de décentralisation — avec le transfert de nombreuses compétences, du préfet (désormais appelé commissaire de la République) au président de conseil général — la loi sur l'audiovisuel — émaillée de controverses homériques sur le contenu politique de la télévision —, le remboursement de l'avortement, les menaces sur l'école privée, le pas de clerc de l'affaire de Paris enfin (avec le projet vite abandonné d'ériger les 20 arrondissements en municipalités de plein exercice) scandèrent cette bataille ininterrompue.

Mais ce furent les réformes spécifiquement économiques et sociales qui provoquèrent, c'est normal, le maximum de pugnacité. En une année d'exercice du pouvoir, François Mitterrand et Pierre Mauroy ont en effet largement jeté les bases du « socle du changement » selon leur expression. Ce furent les nationalisations qui alimentèrent le débat le plus furieux au Parlement et entretinrent aussi quelques dissensions au sein du gouvernement, le ministre des Finances Jacques Delors et le ministre d'État ministre du Plan Michel Rocard ayant exprimé, en particulier au séminaire gouvernemental de Rambouillet, des réserves sur les modalités et sur l'ampleur de l'entreprise. Le PC, lui, regretta que la liste fût trop limitative ; l'opposition s'enflamma. Rien de cela ne pouvait étonner.