Relations sociales

La politique de concertation n'évite pas un certain désenchantement

Propulsé en France en février 1982, un observateur non averti des complexes réalités françaises aurait sans nul doute été impressionné par l'effervescence sociale qu'il y aurait rencontrée. Qu'on en juge : en février 1982, la France ne connaît pas moins de 660 conflits du travail, soit un nombre de journées perdues multiplié par 3,6 par rapport à janvier 1982 et par quatre par rapport à février 1981. Une telle vision serait cependant trompeuse. La France n'est certes pas devenue un pays de cocagne par la seule vertu d'un changement politique, mais elle ne s'est pas davantage transformée en champ clos des luttes sociales.

Revendications

Si, indéniablement, par rapport à 1980 — année qui avait enregistré une régression de 52,4 % sur un an du nombre des journées perdues par suite de grèves —, l'année 1981, faiblement, et le début 1982, plus sensiblement, ont été marqués par un regain revendicatif, dans le secteur privé davantage que dans le secteur public qui est demeuré globalement calme, la France n'a à aucun moment été au bord d'une quelconque explosion sociale. Il n'y a eu aucune grève nationale interprofessionnelle. La seule semaine d'action interprofessionnelle de la CGT, en décembre 1981, a rencontré un écho quasi nul, sauf chez ... les dockers.

Ainsi, les poussées dé fièvre revendicatives observées ont été dues, en février-mars, sous l'impulsion de la CGT, à l'application de l'ordonnance sur les 39 h et la 5e semaine, et, au printemps, par le biais d'actions parfois spontanées et donc moins syndicalement contrôlables, à l'émergence de revendications souvent oubliées, comme celle des OS Renault-Flins qui a servi de révélateur au problème de révolution de carrière des OS ; Citroën a mis en relief, au prix de tensions et de violence aiguës, la difficulté pour un système ancien de relations sociales de se mettre au diapason du nouveau cours politique et social. La volonté de la CGT de casser la CSL a fait le reste... Mais la violence est apparue dans certains conflits avec une recrudescence des séquestrations.

Les relations sociales n'ont connu en fait qu'un changement partiel de paysage. L'arrivée d'un gouvernement de gauche avait fait espérer à certains syndicats la rupture du front commun gouvernement-patronat qu'ils avaient affronté, avec plus d'infortune que de fortune, sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing.

Mais la crise économique, persistant et même s'aggravant, a relativisé leurs espoirs, le gouvernement ayant besoin du concours actif du patronat pour réussir le redressement économique promis.

Après une période difficile, la décrispation entre le pouvoir politique et le CNPF, concrétisée le 15 avril par une série de mesures d'aides aux entreprises, si elle n'a pas garanti un regain de confiance des employeurs, n'a pas davantage marqué l'émergence d'un quelconque consensus. Impensable sous V. Giscard d'Estaing, le consensus est resté introuvable durant la première année du septennat de François Mitterrand.

Critique

Dans l'ensemble satisfaits du changement politique, les syndicats n'ont baigné que le temps d'un été et d'un automne, déjà plus tumultueux, dans l'état de grâce. L'hostilité n'a pas succédé à la trêve, voire à la confiance, aucune organisation syndicale, contrairement à la période antérieure au 10 mai, ne contestant en tout point la politique gouvernementale. Mais un certain désenchantement s'est fait jour peu à peu. Paradoxalement, si on se souvient du soutien implicite qu'elle avait accordé à la candidature de Georges Marchais, c'est la CGT qui apparaît comme le plus fidèle allié syndical du gouvernement, même si elle ne se prive pas de jouer le rôle d'aiguillon critique. Elle porte un jugement globalement favorable sur l'action du gouvernement, Henri Krasucki notant le 13 avril après une rencontre avec Pierre Mauroy : « Il y a beaucoup de dispositions importantes qui justifient une appréciation positive. »

Un tel soutien de la part de la CGT, pour une bonne part lié à la présence de quatre ministres communistes, allait pourtant d'autant moins de soi que les engagements du candidat Mitterrand ne coïncident pas, tant s'en faut, avec son programme revendicatif. Quand, le 19 août, Georges Séguy propose six mesures d'urgence, d'une hausse de 10 % du pouvoir d'achat du SMIC à un blocage temporaire des prix en passant par la suspension de tout plan de licenciement, il n'est guère entendu par le gouvernement.