Comme fait grogner, aussi, l'affectation de ces crédits.

Compensation

En effet, 1,5 milliard de F sont consacrés à une allocation de solidarité destinée aux agriculteurs dont le chiffre d'affaires est inférieur à 250 000 F. Selon Édith Cresson, 630 000 exploitants vont en bénéficier. Par ailleurs, 1,670 milliard de F vont aller aux agriculteurs qui ont beaucoup investi et se trouvent de ce fait en difficulté ; 1,425 milliard de F sont destinés au renforcement de l'organisation des marchés, au développement des fonds propres des industries agricoles et alimentaires, à la recherche de débouchés à l'exportation ; 961 millions de F enfin, sont affectés à des mesures structurelles, notamment dans le domaine foncier.

Ce que déplorent, en fait, plusieurs dirigeants agricoles, c'est que nombre d'exploitants, dont le revenu se trouve amputé par l'accroissement des coûts de production, sont exclus des aides prévues par le gouvernement, alors qu'ils espéraient obtenir une compensation financière aux pertes de revenu résultant de l'augmentation des charges plus rapides que celles des recettes. « Les agriculteurs sont les premières victimes de l'inflation, dit François Guillaume le patron de la FNSEA ; ce qui est en cause, aujourd'hui, c'est l'existence même de leurs entreprises. »

Le budget pour 1982, qui est en discussion devant le Parlement, n'est pas fait pour rassurer les représentants traditionnels de l'agriculture. Pour Édith Cresson, c'est, en ce qui concerne son département ministériel, « un budget de transition et de rupture avec le passé ». En fait, l'ensemble des dotations affectées à l'agriculture dans le budget pour 1982 progresse, par rapport à 1981, de 19 %, pour se chiffrer à 84,265 milliards. Mais ce sont les dépenses globales de fonctionnement qui augmentent le plus (+ 20 %), tandis que les crédits d'équipement sont beaucoup moins favorisés (+ 13 % pour l'engagement d'investissements nouveaux).

Retard

Finalement, le budget de 1982 fait la part belle à l'installation des jeunes agriculteurs, à la recherche agronomique, aux industries agricoles et alimentaires, mais néglige certains investissements productifs comme les travaux d'hydraulique et le remembrement par exemple. Et il prévoit une augmentation de 21 % des cotisations sociales des exploitants, ce qui leur paraît inacceptable alors que leur revenu se dégrade.

À peine les décisions prises à la Conférence annuelle commencent-elles à entrer en application que le problème du revenu agricole rebondit. Sous une autre forme. En effet, le 27 janvier 1982, la Commission européenne, avec un mois de retard sur le calendrier initialement prévu, présente ses propositions de prix pour la campagne agricole qui s'ouvrira le 1er avril.

Le relèvement des prix qu'elle envisage est, en moyenne, de 9 %. En moyenne, car la hausse proposée pour les céréales est inférieure à ce taux, tandis qu'elle lui est supérieure pour les productions végétales déficitaires comme le tournesol et les fruits et légumes. Pour le sucre, le vin, les produits laitiers, les viandes, la majoration proposée s'établit au taux moyen.

C'est un tollé. Particulièrement en France. Édith Cresson reconnaît, elle-même, que la Commission est trop parcimonieuse. À Bruxelles, le Comité des organisations professionnelles agricoles de la Communauté — le COPA — revendique une augmentation de 16,3 %. Une revendication que les organisations agricoles françaises font leur.

Pour parvenir à ce chiffre, le COPA utilise une méthode de calcul mise au point dans le passé par la Commission européenne. Incontestable donc.

Les ministres de l'Agriculture des Dix laissent un moment dormir le dossier. Ils ne commencent vraiment à en débattre qu'au cours du mois de mars. La délégation française cherche à obtenir une augmentation supérieure à celle que propose la Commission. Mais ses partenaires traînent les pieds. À dire vrai, une hypothèque pèse sur la négociation. C'est l'hypothèque britannique. La Grande-Bretagne, en effet, n'entend pas que les prix agricoles soient fixés sans que, parallèlement, n'ait été résolu le problème de la réduction de sa contribution financière au budget de la Communauté. Une réduction qui lui avait été accordée pour 1980 et 1981 et qu'elle cherche à faire reconduire pour plusieurs années. Les autres pays membres hésitent à renouveler leur geste. Les négociations donc traînent. La date fatidique du 1er avril, ouverture de la nouvelle campagne agricole, approche. Rien n'est résolu.

Incidents

La FNSEA, comme elle l'avait décidé à son congrès à la fin février — où Édith Cresson avait courageusement affronté une assistance qui ne lui était guère favorable —, la FNSEA donc mobilise ses troupes. Pour défendre ses revendications de prix. Et, le 23 mars, quelque 100 000 agriculteurs défilent à Paris sous les bannières de leur organisation syndicale. Une manifestation de masse impressionnante par le nombre et le calme des participants. Pour François Guillaume qui veut faire la preuve de la cohésion des agriculteurs, de leur détermination à obtenir des prix rémunérateurs et aussi de la représentativité de la FNSEA qu'il préside, c'est un succès.