Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Pierre Mauroy n'a certes pas un rôle sans importance. À lui l'animation de la gestion gouvernementale quotidienne, les arbitrages entre ministres, la co-définition et l'incarnation de la politique intérieure, économique et sociale. Ainsi est-ce le Premier ministre qui a pris en charge l'explication publique de la lutte contre le chômage, d'où ses innombrables voyages en province. Ainsi est-ce Pierre Mauroy qui, à l'Assemblée, a mené le combat contre une opposition particulièrement pugnace. On a même pu noter que davantage de décisions de niveau intermédiaire étaient prises à Matignon.

Le chef du gouvernement s'est montré, tout au long de cette année, fidèle à François Mitterrand et à lui-même, actif, confiant jusqu'à l'optimisme, éloquent jusqu'à la prolixité ; très populaire au départ, il est resté, les sondages le prouvent, bien considéré par la majorité des petits et des moyens salariés. En revanche, il a moins bien réussi auprès des classes moyennes, des commerçants, des artisans et des cadres. Il n'a pu empêcher le flottement de certains ministres et des discordances publiques entre quelques autres. Sympathique, familier, robuste, un brin naïf, il a engagé toute son autorité (un peu amoindrie au bout d'un an) sur le succès des mesures d'accompagnement décidées en juin 1982 en même temps que la seconde dévaluation.

N'y a-t-il donc alors aucune innovation de la pratique institutionnelle ? Guère. On peut tout juste noter une épreuve de force acharnée entre l'exécutif et sa majorité parlementaire d'une part, le Conseil constitutionnel de l'autre, à propos des nationalisations. Mais elle s'est achevée par un match nul : le gouvernement modifiant la forme et les techniques sans altérer le fond. Quant à l'organisation du pouvoir à l'Élysée, elle a pris un tour ostensiblement plus politique, plus partisan même, qui a été incarné un an par le secrétaire général Pierre Bérégovoy, ex-no 3 du PS, un homme décidé et capable, aujourd'hui ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale. Mais ce n'est là qu'une inflexion de forme, d'ailleurs corrigée depuis le remaniement. L'autre novation ponctuelle tient à l'influence dont bénéficie auprès du chef de l'État son jeune conseiller spécial — une fonction importée de Washington — Jacques Attali, un intellectuel brillant et activiste. François Mitterrand bénéficie donc à plein des ressources d'un pouvoir dont il use.

Politique extérieure

Cela se voit en matière de politique extérieure où, là aussi, la continuité l'emporte. François Mitterrand aurait-il été touché par une grâce gaullienne posthume, lui qui fut l'adversaire principal du premier président de la Ve République ? Sont-ce tout simplement les contraintes internationales et les intérêts bien compris de la France qui imposent des réponses proches à tout chef de l'État ? La parenté entre les choix de François Mitterrand et ceux de ses prédécesseurs paraît là aussi difficilement contestable. Au premier regard, pareille interprétation peut sembler excessive.

Le chef de l'État n'a-t-il pas spectaculairement innové en faisant, en mars, le premier voyage officiel d'un président français en Israël ? N'a-t-il pas, à propos de la grande querelle des euromissiles, pris fait et cause pour la thèse américaine, au grand dam du PC, des pacifistes et de certains de ses amis socialistes, Willy Brandt ou le CERES (l'aile gauche du PS) par exemple ? N'a-t-il pas, au cours de son voyage au Mexique, incarné en deux discours, celui de Mexico et celui de Cancun, une volonté de dialogue privilégié avec les pays du tiers monde, une résolution de combattre pour la redéfinition des rapports Nord-Sud, une ouverture vis-à-vis des mouvements de gauche dans les pays déshérités ? N'avait-il pas d'ailleurs déjà jugé représentatif le front d'opposition à la junte salvadorienne et dignes d'intérêt les progressistes du Nicaragua ? N'a-t-il pas encore entrepris de remodeler les relations entre la France et les pays africains qui lui sont liés, de rééquilibrer les rapports entre Paris, Londres et Bonn de se montrer plus ferme que son prédécesseur vis-à-vis de l'Union soviétique, condamnant fermement l'état de guerre à Varsovie, n'acceptant aucun sommet avec Moscou depuis son élection, appuyant sans défaillance Margaret Thatcher dans l'affaire des Malouines ? Et, dans ces conditions, n'y a-t-il pas quelque abus à insister sur la constance des engagements français ?