Dans le même registre intimiste, Alan Parker a été moins heureux avec Shoot the Moon, récit largement autobiographique d'une grave crise conjugale, malgré Diane Keaton ici un peu en veilleuse... En revanche, les amours sulfureuses ont inspiré deux réussites. La fièvre au corps, premier film du scénariste des Aventuriers Laurence Kasdan, très à l'aise dans la fournaise de la passion et de la Floride, nous révèle en prime une nouvelle femme fatale, Kathleen Turner. Elle ne fait qu'une bouchée, ici, d'un comédien qui est l'une des révélations de l'année, William Hurt. De la même façon la blonde Jessica Lange dévore tout cru, dans l'excellent remake, par Bob Rafelson, du Facteur sonne toujours deux fois, le pourtant coriace Jack Nicholson. Deux films qui renouent avec la meilleure tradition du film noir.

Pas de westerns, cette année, très peu de franches comédies (Mel Brooks a sombré dans la lourde vulgarité avec sa Folle histoire du monde, et seul Arthur Gordon a eu la main heureuse, grâce à ses interprètes Dudley Moore et Liza Minnelli, dans Arthur), guère de policiers (hors le rituel James Bond, intitulé cette année Rien que pour vos yeux, L'arme à l'œil, astucieusement ficelé autour de Donald Sutherland, et De plein fouet, bien conventionnel mais qui marque le retour de Frank Sinatra), un net tassement dans le film fantastique, où l'on retiendra simplement Blow out, de Brian de Palma, avec un Travolta qui ne danse plus, Au-delà du réel, de Ken Russel, et Wolfen, de Michael Wadleigh, pour la sophistication des effets spéciaux et du traitement de la pellicule et de la bande-son : c'est le réel qui prime.

Pour être complet, il faut signaler que quelques vieux routiers ou grands noms du cinéma d'outre-Atlantique se sont, cette année, un peu tristement fourvoyés : John Huston avec À nous la victoire, Robert Altman avec un Popeye qui n'a pas su trancher entre humour, satire et poésie, et Robert Aldnch avec un film sympathique mais mineur, Deux filles au tapis, sur le catch féminin.

Un certain essoufflement, donc, de la production américaine moyenne, mais quelques œuvres majeures dont l'invention, le rythme, l'audace et la vigueur sont restés, cette année, sans concurrence.

Italie

Bien que doublement à l'honneur à Cannes (avec l'hommage à Antonioni pour Identification d'une femme et le grand prix du jury récompensant les frères Taviani pour La nuit de San Lorenzo), le cinéma italien semble décidément singulièrement en perte de vitesse. C'était déjà perceptible l'an dernier, c'est frappant cette année.

On n'a, en effet, été totalement convaincu ni par Scola, qui a pourtant tourné deux films importants, ni par Bertolucci, ni par Ferreri, trois des plus grands cinéastes du monde... Le premier s'est par deux fois enlisé. Dans un pathos parfois grandiose, souvent mélodramatique, quand il a voulu, dans Passion d'amour, raconter la très belle histoire d'un amour-passion impossible, celle d'une femme particulièrement laide avec un fringant cavalier. Une trop grande pudeur, peut-être, et trop d'invraisemblance, dans le romantisme le plus exacerbé — un genre où le réalisateur doit être moins à l'aise que dans la satire et l'humour. Quant à La nuit de Varennes — grande oubliée de Cannes —, elle part, elle aussi, d'une très belle idée, celle de nous raconter la Révolution française à travers le voyage en berline d'une poignée d'aristos affolés, d'écrivains intéressés et de révolutionnaires passionnés. Il y a là, sans doute, de l'intelligence, de l'invention, voire du raffinement, et de remarquables interprètes, notamment Jean-Claude Brialy, et, surtout, Marcello Mastroianni, dont la composition d'un Casanova vieilli, poudré, emperruqué, presque modifié et tout à fait désabusé restera sans aucun doute comme l'un de ses meilleurs rôles. Mais la longueur bavarde de ce film qui se veut — peut-être sur les conseils de la Gaumont, qui l'a cofinancé — visiblement didactique, voire moralisateur, déçoit...

On peut dire la même chose du dernier film de Marco Ferreri, Les contes de la folie ordinaire. Là où l'on attendait, de la rencontre entre le cinéaste italien le plus provocateur, le plus lyrique, le plus démesuré, et le poète américain Bukowski, le plus alcoolique, le plus pornographe, le plus désespéré, une œuvre de... folie extraordinaire, on a trouvé un récit presque hollywoodien (il a été tourné avec des capitaux et dans des paysages californiens) où la dérive du héros, incarné par un Ben Gazzara superbe mais toujours très propre pour un quasi-clochard, n'avait pas l'air très authentique. Quant à Bernardo Bertolucci, il a, dans La tragédie d'un homme ridicule, perdu de son propos — l'ambiguïté du climat politique italien d'aujourd'hui — dans une recherche esthétique quelque peu gratuite.