C'est dans ce contexte que se situe la rencontre entre le général Jaruzelski et L. Brejnev à Moscou le 1er mars, précédée et suivie d'autres rencontres à un moindre échelon. Les mêmes propos reviennent comme un leitmotiv : le redressement de la Pologne (qui « est et restera un État socialiste ») ne va pas assez vite, et beaucoup reste à faire. Pour l'y aider, l'URSS accroît de façon importante son aide économique et commerciale et, sous couvert de relations culturelles qu'elle entend multiplier, envisage même l'envoi de conseillers techniques chargés de redonner, dans les meilleurs délais, au parti polonais son rôle dirigeant. Les Soviétiques estiment intolérable de voir le POUP relégué au rang de figurant, derrière la junte.

Afghanistan

Les événements polonais occultent un peu l'affaire afghane, qui ne laisse pourtant pas d'inquiéter les autorités soviétiques. Après deux ans et demi d'intervention, qui ont coûté environ 6 000 morts et 14 000 blessés, le succès est en effet loin d'être acquis, mais rien ne permet pour autant de constater ni d'envisager à brève échéance un retrait de Moscou. Le renforcement de la présence militaire soviétique observé en décembre 1981 puis en mars 1982 (100 000 hommes et 30 000 autres en réserve à la frontière) en est une preuve, tout comme le sont les efforts du Kremlin pour consolider la légitimité du régime de Babrak Karmal et obtenir sa reconnaissance internationale.

Fidèle à une tradition de non-respect des droits de l'homme, à l'extérieur comme à l'intérieur, Leonid Brejnev, qui a réussi à étouffer la dissidence, n'en reste pas moins vigilant. Devant le congrès des syndicats soviétiques, en mars 1982, qui voit le limogeage de son président Alexis Chibaev, le numéro un soviétique affirme, sans crainte d'être démenti, que « les syndicats et l'État travaillent la main dans la main dans notre pays » et menace : « Nous ne laisserons personne ébranler cette unité. »

Minorités

Le danger ne vient plus des intellectuels. Andreï Sakharov, tête de file prestigieux, n'exerce plus la moindre influence, de sa résidence surveillée de Gorki. La grève de la faim qu'il fait du 22 novembre au 9 décembre 1981 pour obtenir, avec succès, un visa de sortie peur sa belle-fille Lisa Alexeïva émeut encore l'Occident, mais ne semble pas avoir la moindre répercussion en URSS.

Les Orlov ou les Chtcharanski sont oubliés dans leur goulag. Les procès d'un Martchenko. d'un Raguinski ou d'un Kovalev, condamnés à de lourdes peines pour propagande antisoviétique, passent quasiment inaperçus, tout comme la répression qui continue de s'exercer contre les candidats juifs à l'émigration ou les militants religieux, baptistes, adventistes du septième jour ou orthodoxes traditionalistes.

Deux phénomènes par contre inquiètent les autorités. D'abord, l'agitation des minorités ethniques qui se manifeste notamment au Caucase, où l'armée doit intervenir pour mater les émeutes, en Estonie, en Géorgie ou dans les républiques d'Asie centrale, où la persistance des « survivances religieuses » est fréquemment dénoncée par Moscou.

Délits

Ensuite et surtout, ce qu'on peut appeler le malaise de la jeunesse. Sans parler de la délinquance et de l'alcoolisme qui ne cessent de croître, l'apolitisme ou le manque de civisme, le laisser-aller, le pacifisme affiché par certains l'individualisme et le goût de plus en plus prononcé de beaucoup pour une civilisation de consommation, ainsi que l'accueil souvent favorable aux idéologies religieuses préoccupent les responsables civils et militaires qui, à plusieurs occasions, rappellent cette jeunesse à l'ordre.

Le Kremlin s'en prend aussi aux saboteurs de l'économie, spéculateurs et escrocs. Les arrestations et les procès sont nombreux, et les peines vont jusqu'à la mort ; ainsi pour cet ancien vice-ministre de la Pêche, inculpé de corruption et fusillé en avril 1982,

En dénonçant sans cesse ces délits, Moscou espère faire croire à l'opinion que leurs auteurs sont les seuls responsables de la crise permanente que vit l'URSS. Une crise dont personne, pourtant, n'ignore les causes profondes : centralisme aveugle, planification à outrance, erreurs de gestion, défaillances techniques, distribution et stockage déficients, gaspillage. Autant de maux qui amènent certains spécialistes à demander la réhabilitation de l'initiative privée dans l'agriculture, le commerce et la petite industrie, et à faire jouer la concurrence.

Rationnement

Le bilan 1981, première année du XIe Plan quinquennal, que présentent en novembre 1981 Leonid Brejnev et Nicolas Baïbakov, président du Gosplan, est plus mauvais encore que celui des années précédentes ; celui du premier semestre 1982 ne s'annonce pas meilleur. Le taux de croissance de l'année écoulée (3,2 %) baisse à la fois par rapport à 1980 et par rapport aux objectifs minimaux du plan.