Rapport passionnément discuté. Et contesté. La philosophe Jeanne Hersch publie ses Antithèses, dirigées contre la commission Segond, pour rappeler que les adolescents n'ont pas besoin du laxisme des adultes, mais au contraire de leur fermeté : les Centres autonomes, qui les isolent dans leurs fantasmes au lieu de les intégrer dans le monde réel, font œuvre illusoire et maléfique.

Et, tandis que s'éteint l'utopie, le vent se met à souffler vers la droite. Le 7 mars 1982, les Zurichois présentent la facture de leurs nuits chaudes à leur majorité socialiste. Les élections communales portent à la mairie le radical Thomas Wagner, personnage dynamique et musclé. Le même jour, à l'autre bout du pays, les Vaudois, qui renouvellent leur parlement cantonal, donnent 11 sièges supplémentaires aux libéraux, tandis que les socialistes en perdent 8. L'automne précédent, le 18 octobre, les Genevois avaient fait mouvement les premiers : leur Grand Conseil comptait 7 députés supplémentaires au centre droit, 5 députés de moins à gauche. Et, le 8 novembre, 5 des 7 sièges de la municipalité de Lausanne étaient revenus à l'entente radicale-libérale.

Moins d'État

Partout, un slogan fait fortune, qu'on lit sur les affiches et les banderoles des congrès, qu'on entend dans les discours, et sur lequel dissertent les journaux : « Moins d'État ! » Les auteurs de la formule sont les radicaux. Elle ne signifie pas, dans son apparente ambiguïté, qu'il faille affaiblir l'autorité gouvernementale. Mais elle rassemble incontestablement les citoyens irrités par l'omniprésence de l'administration, fatigués par le poids du fisc, persuadés que la Confédération doit rendre des compétences aux pouvoirs cantonaux, et que le temps vient d'un libéralisme accru.

Paradoxe : les années d'abondance profitaient à la gauche, la récession l'effrite. De toute évidence, le sentiment général est que, si le moteur économique tousse, aucune recette, aucune politique ne le relancera, et qu'au contraire le salut viendra de l'initiative, de l'imagination, de l'énergie déployée par les petites communautés, les entreprises et les individus. De l'État, on attend plutôt qu'il se tienne sur la réserve, qu'il mesure ses interventions, fasse des économies et se garde de perpétuer un déficit générateur d'inflation. « Au détriment des plus faibles et des plus démunis ! », objectent les socialistes.

Miracle

Mais un petit coup de théâtre les bâillonne. Le 24 février, le conseiller fédéral Willi Ritschard, lui-même socialiste, « avoue » que la Confédération n'a pas sombré dans le rouge. Le déficit prévu pour l'année 1981 se montait à 1 milliard 173 millions de francs. Or, il est de 173 millions tout court. Des rentrées fiscales sous-évaluées ont supprimé le milliard. Phénomène passager, miracle impossible à renouveler, s'écrient en chœur les grands commis des Finances. Peut-être, mais le miracle en question produit un effet certain sur les contribuables : on ne leur demandera pas un centime d'impôts de plus.

Au total, il faut reconnaître que les tempêtes conjoncturelles n'ont pas démâté la barque helvétique. Les géants de l'industrie, Alusuisse et Oehrlikon-Buhrle notamment, connaissent des revers, et Nestlé coupe ses branches improductives. L'horlogerie dénombre 68 entreprises fermées en un an. Les taux hypothécaires grimpent régulièrement, et les loyers derrière eux. Le chômage, entre les mois d'avril 1981 et 1982, a plus que doublé. En chiffres absolus, cependant, il reste quasiment négligeable : les demandeurs d'emploi représentent 0,3 % de la population dite active. Et les experts de l'OCDE félicitent Berne d'avoir maîtrisé l'inflation, dont le taux n'excède guère 5 %. La production industrielle et le produit intérieur brut se stabilisent, reculent un peu. C'est un affaissement. Ce n'est pas encore une crise.

Capitaux français

Le secteur bancaire lui-même sent le vent fraîchir un peu. Mais il conserve une force tranquille, en dépit de quelques aventures tragi-comiques. Le 10 janvier, un tribunal italien condamne Guido Ernesto Corecco, sous-directeur de la banque zurichoise Leu, à 2 ans de réclusion, plus une lourde amende, pour « constitution illégale de capitaux à l'étranger », autrement dit pour transferts clandestins de fonds. Moyennant 800 000 francs suisses de caution, Corecco retrouve la liberté. Le 11 février, c'est au tour de Lionello Torti, chef de service à la Banque du Gothard de Lugano, de connaître, pour le mène délit, les foudres d'un tribunal romain (qui s'empresse de le libérer). « Brebis galeuses », explique l'Association suisse des banquiers. « Dans notre immense majorité, nous refusons de tricher avec le contrôle des changes des autres pays. »