Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Bien entendu, il y a eu, en matière de police, de justice, de sécurité, bref pour tout ce qui touche à la conception de la loi et de l'ordre, de sérieuses transformations. En une année seulement, sous la double impulsion du ministre d'État ministre de l'Intérieur Gaston Defferre et du garde des Sceaux Robert Badinter, deux amis personnels du président de la République, que de changements dans la société civile française : la peine de mort abolie, le 1/7 des prévenus emprisonnés remis en liberté, la loi Sécurité et Liberté et la loi anticasseurs abrogées, et, dans un domaine connexe, les tribunaux permanents des forces armées supprimés.

L'inculpation symbolique par le ministère des Finances d'industriels du textile célèbres ; les poursuites contre le P-DG de la banque de Paris et des Pays-Bas, la tonalité du procès de Broglie, enfin, démontraient l'importance des transformations. Cela ne s'est pas fait sans maladresses, sans contradictions, sans pleurs et sans grincements de dents. La rivalité traditionnelle entre la place Beauveau et la place Vendôme — sièges des ministères de l'Intérieur et de la Justice — n'a pas disparu. Gaston Defferre et Robert Badinter se sont contredits en public. La persistance et, dans certains domaines, l'aggravation de l'insécurité ont provoqué force controverses autour des innovations. L'opposition en a joué, la majorité ne s'en est pas toujours habilement défendue, mais la marque de François Mitterrand, sa volonté de supprimer toute législation d'exception, sa conception très sociale-démocrate des libertés se sont imposées.

Équilibre

Ce n'est pas vrai, en revanche, de l'équilibre entre les différents pouvoirs. Le régime de la Ve République était présidentiel, il le reste. Certes, le chef de l'État n'avait annoncé aucune réforme constitutionnelle fondamentale, s'accommodant en fait d'une situation que doctrinalement il n'approuvait pas. Mais il comptait bien en modifier la mise en œuvre. Cela ne s'est guère produit. Il a bien eu, au départ, quelques signes d'une volonté de réévaluer le rôle de l'Assemblée nationale : un président de poids, Louis Mermaz, autre proche de François Mitterrand ; le gouvernement de Pierre Mauroy sollicitant la confiance de la Chambre sur son programme ; la multiplication de courtes sessions extraordinaires ; le désir d'organiser de bonnes relations avec les deux groupes de la majorité, le groupe socialiste et le groupe communiste.

Mais, très vite, d'inévitables conflits entre un groupe socialiste pléthorique (il détient à lui seul la majorité absolue des sièges), un groupe communiste amoindri mais sourcilleux et le gouvernement ont éclaté. Les députés du PS, nombreux à être jeunes, élus pour la première fois, peu différents des militants qu'ils étaient encore la veille, ont manifesté de l'humeur lorsque le gouvernement a décidé de maintenir, à l'expérience, l'essentiel du programme nucléaire civil, lorsqu'il a remis à plus tard la réduction de la durée du service militaire, et modéré la volonté du PS d'aller vite et loin en matière de réforme fiscale. Les députés communistes, eux, ont renaclé lorsqu'il s'est agi d'imposer un prélèvement supplémentaire de 1 % des cotisations sociales, de limiter le champ (déjà considérable) des nationalisations ou de bloquer provisoirement les salaires. Et, comme toujours, le gouvernement, confronté à ces mouvements de protestations et pressé de faire adopter les très nombreuses mesures qu'il voulait mettre en œuvre dès la première année, a choisi la contrainte. On avait déjà connu cela au début de la Ve République ou bien sous Raymond Barre. Tout l'arsenal imposant dont la Constitution a doté le gouvernement a donc été mobilisé : ordonnances (pour permettre l'application accélérée des mesures sociales), vote bloqué, ordre du jour prioritaire, engagements de la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée, tout a été employé. Sur ce point, la Ve République continue. Le Sénat, aux moyens modestes mais bastion de l'opposition, freine le mouvement de son mieux. À l'Assemblée, la volonté de l'exécutif s'impose.

Maître à bord

Y aurait-il alors élargissement de l'autorité du gouvernement au détriment de celle du président de la République ? Point davantage. Après un an d'exercice du pouvoir, François Mitterrand apparaît bien le maître à bord. La politique extérieure — affaires étrangères, défense nationale, coopération — lui est directement rattachée. Les affaires culturelles et celles de Paris demeurent dans sa mouvance proche. Et il détermine tout autant que ses prédécesseurs les grandes options gouvernementales dans les autres domaines, jouant aussi un rôle considérable dans le choix des personnalités destinées, au sein de l'administration et du secteur public, à appliquer ses directives.