En fait, tout comme lors de la répression à Budapest ou Prague, le monde libre laisse faire.

Dans le pays pourtant un embryon de résistance s'organise. Dès le 13 décembre 1981, la section Solidarité de l'usine de tracteurs d'Ursus lance un appel à la grève générale, repris le lendemain par cinq membres de la commission nationale qui ont échappé à l'arrestation.

Mais les îlots de résistance atteindront à peine la dizaine : les chantiers navals de la Baltique (Gdansk, Gdynia et Szczecin), les deux mines de Silésie, Wujek et Piast, la plus grande aciérie du pays, Huta Katowice et l'usine d'Ursus.

La résistance ne dépassera pas deux semaines, et les Zomo, forces spéciales d'intervention de la milice, donnent l'assaut en plusieurs endroits. Bilan officiel : 7 mineurs tués et — selon des sources officieuses — 4 miliciens et des centaines de blessés.

À cette résistance active des ouvriers succèdent une résistance passive — ralentissement des rythmes de travail ou grève du zèle — et quelques actions sporadiques durement matées, mais qui montrent qu'une bonne partie de la population continue de refuser l'état de guerre : manifestation de jeunes à Gdansk le 30 janvier 1982 (qui se solde par l'arrestation de 205 personnes), puis à Poznan et à Varsovie ; attentat le 18 février contre un milicien en uniforme, blessé par balle dans un tramway de Varsovie, émissions clandestines de Radio-Solidarnosc dans la capitale et à Gdansk.

Manifestations

Un faible signe de dégel apparaît, fin avril, avec l'annonce de la libération de 1 000 internés sur un total de 3 000 personnes encore détenues, et la levée du couvre-feu. Mais les violents affrontements qui opposent début mai manifestants et policiers à Varsovie, Gdansk, Szczecin, Cracovie, Torun, Lublin démontrent que la normalisation est encore loin.

Aux cris de « Libérez Walesa », « Solidarité vit et vivra » ou « À bas la junte », des dizaines de milliers de Polonais, jeunes en majorité, font face aux forces de l'ordre, qui répriment avec la plus extrême violence ces débuts d'émeutes. Plus de 1 300 personnes sont arrêtées et les blessés se comptent par dizaines.

Le 13 mai, à midi, à l'appel de Solidarité une grève symbolique de quelques minutes et diverses manifestations pacifiques marquent le début du sixième mois de l'état de guerre. Bilan : 679 arrestations.

Un mois plus tard, jour pour jour, de très violentes manifestations se déroulent à Wroclaw et à Cracovie. Un commissariat est lapidé, des voitures de police endommagées, des barricades dressées dans les rues ; 23 miliciens sont blessés, dont 6 grièvement, et 238 manifestants sont arrêtés.

Cette situation provoque un regain de tension avec l'Église sans laquelle pourtant le numéro un polonais ne pourra jamais aboutir à cette « entente nationale » qu'il prône.

Soucieux au soir du 13 décembre 1981 d'éviter un bain de sang, le primat, Mgr Glemp, avait lancé un « appel à la raison » mais affirmé aussi que « la nation ne reculera pas ».

Mettre fin à l'état d'exception est un impératif pour le général Jaruzelski. D'abord pour retrouver un certain consensus avec la population. Ensuite et surtout pour amener l'Europe occidentale à poursuivre une aide économique vitale. La situation est en effet aussi catastrophique qu'avant la proclamation de l'état de guerre.

Pénurie

Le PNB a chuté en 1981 de 13 %, la production industrielle de 11,2 %, les échanges commerciaux avec l'étranger de 20 % et les investissements de 26,7 %. Seules notes optimistes : les récoltes ont été supérieures en 1981 à celles de 1980 et l'extraction du charbon (principale ressource du pays) est en hausse (+ 15 %). depuis la proclamation de l'état de guerre.

Mais la production industrielle est de 10 % inférieure pendant le premier trimestre 1982 à celle de la même période en 1981 et le chômage augmente de 5 %. À cela, il faut ajouter la dette de 27 milliards de dollars à l'égard de l'Occident.

La pénurie alimentaire — qui provoque en juillet et août 1981 des marches de la faim —, les fortes hausses des prix (171 % en moyenne) décidées en janvier 1982 et la dévaluation, le même mois, du zloty de 71 %, qui renchérit encore le coût des produits importés, créent une situation déplorable que ne compensent pas, et de loin, les crédits « à des conditions de faveur » accordés par l'URSS.