À 2 heures du matin, les forces de l'ordre — 350 000 miliciens et 320 000 militaires —, qui quadrillent le pays et contrôlent les immeubles de l'administration et des médias, investissent les sièges de Solidarité à Varsovie, à Gdansk et procèdent à des arrestations massives.

Plusieurs milliers de responsables syndicaux, de militants d'opposition ou d'anciens dirigeants (tel Edward Gierek) sont internés, Lech Walesa mis en résidence surveillée. Les lignes télex et téléphoniques sont coupées, les frontières bouclées, l'espace aérien fermé.

À 5 heures du matin, le général Wojciech Jaruzelski, premier secrétaire du parti (POUP), Premier ministre et ministre de la Défense, annonce à la radio aux Polonais atterrés les mesures prises. Il justifie l'instauration de l'état de guerre et la constitution, sous sa direction, du Conseil militaire de salut national (Wron) formé de 15 généraux et 5 colonels, par la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays.

« La nation est parvenue à la limite de ce qu'elle peut psychologiquement endurer », dit-il, avant d'affirmer : « nous devons lier les mains des aventuriers, avant qu'ils ne jettent le pays dans la guerre civile ». Précisant que le Wron « a nommé des commissaires des forces armées à tous les niveaux de l'administration de l'État », il assure toutefois que « l'appel à l'aide de l'armée ne peut être que provisoire et extraordinaire ».

Militarisés

D'heure en heure, le Wron annonce, par des communiqués lus à la télévision par des présentateurs en uniforme, les mesures prises pour normaliser la situation : réunions publiques et grèves sont interdites et, sur simple décision administrative, le Conseil militaire peut réquisitionner ou arrêter tout citoyen de plus de 17 ans et exécuter toute personne qui s'oppose à ses décisions.

Tous les secteurs vitaux de l'économie sont militarisés et leurs employés soumis à la discipline du code militaire. Les médias sont placés sous le contrôle des autorités. Les établissements scolaires et universitaires sont fermés, les activités syndicales suspendues, les samedis libres (Journal de l'année 1980-81) supprimés.

Il est interdit de quitter le pays et le couvre-feu est instauré de 22 heures à 6 heures du matin. La circulation à l'intérieur du pays est limitée et la vente d'essence interdite. À Varsovie comme dans la plupart des villes, des blindés sillonnent les rues. L'ordre règne.

Un ordre que les diverses capitales du monde vont apprécier à leur façon. Moscou, qui, pour les Occidentaux et de nombreux Polonais, est l'instigateur du coup d'État, appuie bien sûr sans réserve le général Jaruzelski, tout en signalant qu'il s'agit d'une « affaire strictement intérieure ».

Le Kremlin, qui n'a cessé depuis août 1980 d'accuser Solidarité de préparer « le renversement du pouvoir » et de critiquer les autorités pour leur faiblesse, ne peut qu'apprécier l'action du numéro un polonais. Quand ce dernier se rend à Moscou début mars 1982, Leonid Brejnev lui exprime sa « totale compréhension », se plaignant seulement des lenteurs de la normalisation.

À Washington les premières réactions sont aussi nuancées que prudentes. Mais le ton monte vite. De la condamnation de la loi martiale et des mises en garde contre l'URSS « entièrement responsable de la répression », la Maison-Blanche passe aux actes : sanctions économiques contre Varsovie et contre Moscou qui n'auront néanmoins que des conséquences limitées.

Les autres capitales occidentales font la sourde oreille aux appels américains à la fermeté et en resteront peu ou prou au stade de l'indignation vertueuse, suivant en cela les appels à la modération du Vatican. Paris condamne « la perte des libertés » et l'instauration d'un « régime d'exception », mais, soulignant que la crise doit se régler entre Polonais, signe fin janvier 1982 un important contrat gazier avec l'URSS.

Laisser faire

Bonn est plus souple encore, qui reçoit les 30 et 31 décembre 1981 le vice-Premier ministre polonais, Rakowski, aidant ainsi le général Jaruzelski à sortir son pays de l'isolement dans lequel Washington voudrait le maintenir.