Cette prise de position tranchée ne paraît pas dénuée de tout fondement. C'est en effet à cause des profondes divergences entre ministres socialistes et sociaux-chrétiens en matière économique que le gouvernement Eyskens n'a pu passer le cap des six mois (Journal de l'année 1980-81).

La Belgique, comme tous ses voisins, connaît les effets de la crise : une situation budgétaire catastrophique, — un trou évalué à 423 milliards de FB —, un chômage qui dépasse 10 % de la population active et qui grève d'autant les finances publiques, une sidérurgie en plein marasme.

Sidérurgie

Il faut dire que l'attitude des banquiers et des holdings à propos du financement de la sidérurgie n'incite pas à la confiance. Les banques veulent une garantie de l'État sur les créances bancaires en cours et à venir. Le gouvernement Eyskens ne leur a donné que la caution morale des pouvoirs publics, ce qu'on appelle une lettre de confort. Les négociations avec les banques échouent et les ministres cherchent des solutions de rechange.

Mais les socialistes francophones du PS, pour lesquels l'avenir de la sidérurgie, pilier de l'industrie wallonne, est crucial, considèrent que l'engagement du gouvernement est insuffisant. Ils veulent des garanties d'avenir pour la sidérurgie wallonne et entendent que le dossier soit traité en priorité absolue, jusqu'à ce qu'une solution satisfaisante soit trouvée. Les ministres socialistes refusent de siéger pour discuter d'un autre problème tant que celui-là ne sera pas réglé.

M. Eyskens, Premier ministre, se fâche : il estime que les ministres socialistes wallons « font grève » et qu'ils contreviennent à tous les usages gouvernementaux. Il se détend : « Ce n'est pas notre faute si les banquiers introduisent des conditions jugées inacceptables et si les holdings n'avancent pas les fonds promis ! »

Thérapeutique

Le débat sur la sidérurgie s'est greffé sur une âpre controverse concernant les moyens de relancer l'économie et de créer des emplois. Sociaux-chrétiens et socialistes ne s'entendent pas sur l'application de la thérapeutique. Les maîtres à penser des deux partis chrétiens, le CVP flamand et le PSC francophone, sont acquis à l'idée d'un blocage de l'indexation des salaires et d'une dévaluation de la monnaie. Ils visent la reconquête des marchés extérieurs par une diminution des coûts salariaux.

Les socialistes veulent bien admettre la nécessité de mesures d'économie, mais ils ne veulent entendre parler ni de dévaluation de la monnaie ni d'un blocage de l'indexation des salaires. À leurs yeux, une diminution brutale des revenus de la masse des travailleurs entraînerait des risques sérieux de déséquilibre du marché intérieur.

Les socialistes craignent les conséquences d'une politique qui ferait « payer la crise » par les seuls salariés. Le PS estime en effet que le gouvernement n'a pas les moyens de bloquer les prix ; il n'a aucune garantie que les industriels destineront à des investissements les sommes économisées sur les salaires ou provenant d'allégements fiscaux.

PS dominant

Cette attitude du PS se révèle payante, puisqu'il enregistre aux élections du 8 novembre 1981, après la démission du cabinet Eyskens, des résultats satisfaisants. En Wallonie, le PS reste de loin le parti dominant. Ce succès est sans doute dû à la personnalité de Guy Spitaels, président du parti, qui, lors de ses apparitions à la télévision, donne l'impression de bien connaître ses dossiers, de ne jamais se trouver en difficulté devant ses interlocuteurs et de se refuser à toute démagogie. À Bruxelles, le PS se maintient honorablement. Quant aux socialistes flamands, s'ils doivent céder la place de deuxième parti de Flandre au PVV (libéraux), ils conservent cependant le même nombre de députés (26).

Les deux partis sociaux-chrétiens — le CVP flamand et le PSC wallon — enregistrent un net recul. À tel point que le CVP, s'il reste le premier parti en Flandre, perd la majorité absolue qu'il détenait au sein de l'exécutif régional flamand. Le PSC cesse d'être le deuxième parti de Wallonie après le PS. Au niveau national, les forces chrétiennes et socialistes sont, pour la première lois, équivalentes (61 députés).