Journal de l'année Édition 1982 1982Éd. 1982

Synthèse

L'année du changement

Après le grand choc de l'alternance — la première victoire de la gauche depuis un quart de siècle —, l'année 1981-1982 se présente de façon extraordinairement typée et homogène. Elle mérite sans aucun doute de s'intituler l'année du changement, car elle introduit en quelques mois davantage d'innovations que la France n'en avait connues depuis au moins 1958 et la fondation de la Ve République. Comme dans un drame bien organisé, l'unité de temps et de lieu correspond à l'unité d'action : l'épilogue de ces 12 mois marque en effet visiblement au moins la fin d'une période. La succession, en quelques jours de juin 1982, d'une conférence de presse présidentielle, d'une dévaluation du franc, de l'adoption d'urgence d'un plan de rigueur et d'un remaniement ministériel répond effectivement aux canons de ce que François Mitterrand nomme « une seconde phase » ou Pierre Mauroy « une deuxième étape ».

Du 1er juillet 1981 au 30 juin 1982, se sera ainsi déroulé le premier acte du septennat, un premier acte tout entier placé sous le signe de la novation, de ses effets, des résistances qu'elle rencontre, des rectifications qu'elle doit enfin elle-même s'imposer.

Grandes options

Il y a eu, pendant cette année importante, controversée, grave et pleine, une expérience originale. Il s'est agi de mettre fidèlement en œuvre les grandes options de la plate-forme présidentielle de François Mitterrand. Cela constituait indubitablement une tentative singulière, unique en son genre en Europe et même dans l'univers occidental. Elle s'est heurtée à des obstacles extérieurs — la crise économique mondiale, la détérioration des relations Est-Ouest — et à des grandes oppositions internes. Tant de changements en si peu de temps, dans de pareilles conditions, ne pouvaient certes s'imaginer harmonieux et faciles.

Le nouveau président de la République, clé de voûte et maître d'œuvre d'une majorité de gauche, comme jadis ses prédécesseurs de centre droit, n'a certes pas rompu sur tout. Mais il a tenu parole à ses électeurs, et mis en œuvre ce qu'il avait annoncé : une politique socialiste. Le plus frappant reste, sans doute, que ce qui aurait pu n'être qu'un an de noviciat, d'apprentissage ou de rodage, s'est déroulé si vite qu'il faut plutôt y discerner l'élan d'une offensive.

Bien entendu, cette année du changement a bouleversé trop de statuts, de rapports de force, d'habitudes, et de méthodes pour n'avoir point provoqué force polémiques et tensions.

La novation a déclenché l'imprécation, les erreurs des répliques, les déceptions, des réactions. Des deux côtés, à gauche et à droite, dans la majorité et dans l'opposition, on a caricaturé dénaturé, apostrophé. Pourtant, si la modification de cap a été radicale, elle n'a été ni totale ni égale. Dans certains secteurs même, comme c'est logique dans une société développée, la continuité l'emporte au bout du compte sur la nouveauté. Dans d'autres, il est vrai, c'est le contraire qui s'est produit. Le bilan global penche nettement du côté du changement, mais pas de la rupture. Encore faut-il distinguer ce qui a été profondément modifié — la politique économique et sociale, la conception de l'ordre — de ce qui n'a été qu'amendé — les institutions, la politique extérieure. En somme, le cadre a été préservé, le contenu renouvelé.

Cela est très visible d'abord pour la Constitution. Et cependant, sur ce terrain, la gauche, le parti socialiste et François Mitterrand lui-même venaient de loin. Lorsque le chef de l'État et ses amis politiques campaient dans l'opposition, combien de fois n'avaient-ils pas fait et refait le procès de ce régime de « pouvoir personnel », toujours soupçonné et souvent accusé d'en prendre à son aise avec la démocratie ? Après 12 mois de règne de l'auteur du Coup d'État permanent, le doute n'est plus possibles. Le président François Mitterrand a endossé pour l'essentiel les habits constitutionnels du gaullisme, dont il a d'ailleurs admis lui-même un jour en souriant qu'ils lui paraissaient avoir été coupés sur mesure à son intention.