Enfin, voici que débarque sur la scène politique Marie-France Garaud. Elle a belle allure, du brio et la dent particulièrement aiguisée contre Valéry Giscard d'Estaing. Elle veut jouer un rôle, peser ; elle intéresse et sait mobiliser la presse avec un professionnalisme éprouvé. Elle va développer, avec un sourire charmeur, une thèse meurtrière : le « manque de fermeté ».

Ainsi, quand s'achève ce prologue, le monde va mal, ce qui ne conforte pas le président ; l'économie ne va pas mieux et le chef de l'État sortant ne peut pas en être tenu innocent ; la grogne catégorielle (grande spécialité française) entretient un climat délétère. Et déjà, mais l'on n'y prend point garde, les principaux acteurs de la pièce présidentielle préparent leur rôle, qui (où qu'ils se situent sur l'échiquier politique) aura le même ressort : l'échec de Giscard. La campagne ne sera donc pas si facile. D'ailleurs, fin septembre, les élections sénatoriales sont cruelles. Le PS y réussit une excellente performance. Le RPR progresse, les giscardiens sont entamés sur les deux flancs.

Mauvais présages

Pour qui en douterait encore, un mauvais présage éclate d'ailleurs dès le début d'octobre. Le 3, un attentat organisé devant la synagogue de la rue Copernic, à Paris, fait quatre morts, une vingtaine de blessés et soulève aussitôt une tempête. Les autorités de la communauté juive française déplorent la « passivité » gouvernementale ; les syndicats de police dénoncent des infiltrations d'extrême droite dans leurs rangs ; Menahem Begin assure que la politique anti-israélienne de Paris ne peut que faciliter une recrudescence d'antisémitisme en France ; Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre interloqués, choqués, embarrassés, réagissent trop lentement et trop maladroitement. L'indignation se tourne contre le pouvoir en place. Quelque chose achève de se fêler entre la communauté juive française (qui n'aime déjà guère le président) et l'Élysée. Quelque chose de nouveau perce aussi à cette occasion : Valéry Giscard d'Estaing sent moins bien qu'autrefois l'état de l'opinion, comprend mal pourquoi il devient ainsi le bouc émissaire et semble soudain vulnérable.

Or, des signes de ce genre, il en existe d'autres : en septembre, le Canard enchaîné a relancé l'affaire des diamants en publiant une conversation téléphonique avec l'ex-empereur Bokassa. Celui-ci confirme ses accusations et présente Roger Delpey, alors détenu sous le chef d'« intelligence avec une puissance étrangère », comme son représentant légitime. En novembre, Alain Peyrefitte mobilise contre lui le ban et l'arrière-ban de l'intelligentsia en faisant ouvrir une information judiciaire contre Le Monde. La commission parlementaire spéciale chargée d'examiner l'opportunité de traduire Michel Poniatowski en Haute Cour de justice poursuit son étrange ballet-hésitation. Dans chacune de ces affaires, l'image de Valéry Giscard d'Estaing s'ébrèche un peu. Qu'il soit parfaitement innocent ou pas ne compte guère. La période n'est pas à l'équité mais à la subjectivité. Le président, ulcéré d'être soupçonné et mis en cause, réagit avec hauteur et s'explique peu et mal. L'un de ses atouts maîtres (sa réputation de probité) lui fait ainsi défaut. Son image de favori du destin l'abandonne du même coup. Indications qui relèvent plus de la psychologie sommaire que de l'arithmétique électorale, mais qui — comme les mille et une histoires de protocole qui, de bouche à oreille traversent la France — l'exposent ainsi davantage.

L'adoption définitive, en décembre, du projet de loi Sécurité et Liberté lui aliène aussi des sympathies libérales. Le garde des Sceaux ne lui aura pas porté chance.

Autre grimace du destin, alors que la victoire de son ami Helmut Schmidt aux élections législatives allemandes ne le renforce guère, la défaite du président américain Jimmy Carter devant Ronald Reagan sonne soudain comme un avertissement. C'est donc qu'un chef de l'État sortant peut être vaincu... À nouveau, la politique étrangère (sur laquelle son image hors de France est pourtant positive) joue contre lui ; ce qui est constructif (un voyage en Chine, la coopération avec l'Allemagne, deux bonnes visites de Raymond Barre en Tunisie et en Yougoslavie) ne pèse pas. Ce qui est négatif (l'imbroglio tchadien, la polémique entre le gouvernement français et Simone Veil, présidente du Parlement européen, à propos d'une obscure querelle de procédure budgétaire) passe aussitôt à son débit. Il l'avouera lui-même plus tard en privé : c'est à cette époque-là, précisément les derniers mois de 1980, que Valéry Giscard d'Estaing a pressenti que l'élection serait beaucoup plus aléatoire que prévu. Il ne faut pourtant pas recomposer le passé. S'il est alors visible que l'image de Valéry Giscard d'Estaing s'est dégradée (les sondages de décembre sont détestables), aucun mouvement ne se cristallise encore au bénéfice de ses adversaires. Le président est devenu plus fragile que ses concurrents menaçants