Sciences

Prix Nobel

Médecine et physiologie

Les trois lauréats sont récompensés pour « leurs découvertes sur les structures des surfaces cellulaires génétiquement déterminées qui régissent les réactions immunologiques ». En 1900, le biologiste américain d'origine autrichienne Karl Landsteiner découvrait l'existence, chez l'homme, de groupes sanguins, caractérisés par la présence, à la surface des globules rouges, d'antigènes spécifiques. Ainsi pouvait-on expliquer — et éviter — les accidents d'incompatibilité qui suivaient trop de transfusions. Cependant, le nombre limité des groupes sanguins ne suffisait pas à rendre compte de l'infinie diversité des individus, qui entraîne (sauf entre vrais jumeaux) les réactions de rejet des greffes. En 1936, le Britannique P. Gorer découvre chez la souris un système antigénique différent des groupes sanguins. Il part pour les États-Unis afin de poursuivre ses recherches avec le professeur George Snell, mais il meurt avant d'en connaître l'aboutissement : la mise en évidence sur le chromosome 6 de la souris d'un complexe de gènes baptisé H 2, qui contrôle la réponse immunitaire et la compatibilité cellulaire. En France, en 1952, le professeur Jean Dausset, travaillant dans le service d'hématologie du professeur Jean Bernard à l'hôpital Saint-Louis, découvre que les leucocytes (globules blancs) déclenchent chez les patients transfusés la production d'anticorps qui les détruisent. Il postule dès 1958 qu'il existe des groupes leucocytaires (ou tissulaires) qui jouent un rôle dans la réussite ou l'échec des greffes. La détermination de ces groupes d'histocompatibilité, préalablement à toute transplantation d'organes, a considérablement augmenté le pourcentage de succès, notamment dans la greffe de reins de cadavre. En raison de l'impossibilité de mener sur l'homme des expériences du type de celles du professeur Snell sur les souris, Jean Dausset recourt à l'observation patiente de volontaires se prêtant, dans des centaines de familles françaises, à des échanges de greffes de peau ou d'extraits de sang. Ainsi a été peu à peu élucidé, sur le chromosome 6 humain, un système génétique complexe, nommé HLA (human locus antigen) qui non seulement contrôle le rejet des greffes, mais constitue aussi l'un des composants de la plus ou moins grande vulnérabilité individuelle à de nombreuses maladies et entre dans la chaîne de réactions immunitaires de défense contre toute agression, bactérienne, virale ou autre. De son côté, le professeur Baruj Benacerraf a approfondi le caractère très général, chez tous les animaux supérieurs, de ce mécanisme immunitaire de reconnaissance et de protection du soi, et le rôle probable d'un dérèglement de ce mécanisme dans l'apparition des tumeurs malignes.

Jean Dausset

Français. Né en 1916 à Toulouse. Études à Paris : lycée Michelet, faculté de médecine. Interne des hôpitaux de Paris (1941). Maître de conférences d'hématologie (1959), puis professeur d'immuno-hématologie à la faculté de médecine Lariboisière Saint-Louis (1968). Professeur au Collège de France (1978) De 1962 à 1968, directeur adjoint de l'Institut de recherches sur les leucémies et les maladies du sang. Président-fondateur de l'association France-Transplant, qui étudie les similitudes de groupes tissulaires entre donneurs et receveurs éventuels d'organes. Membre du conseil scientifique de l'Institut Pasteur (1975), de l'Académie des sciences (1977), de l'Académie de médecine (1977). Lauréat de plusieurs prix scientifiques français et étrangers. Membre de diverses sociétés savantes françaises et étrangères. Auteur d'ouvrages et d'articles portant notamment sur l'immunogénétique et les transplantations d'organes.

George Davis Snell

Américain. Né à Bradford (Massachusetts) en 1903. Docteur ès-sciences de l'université Harvard. Professeur associé de l'université Washington de Saint Louis. En 1935, entre au laboratoire Jackson de Bar Harbor, dont il devient plus tard directeur. Entre-temps, il découvre le système H 2 de la souris, équivalent du système HLA chez l'homme. Nombreuses distinctions scientifiques, dont en 1976 le prix de la fondation Gairdner (Canada) et en 1978 le prix de la Wolf Foundation, qu'il partage avec les professeurs Jean Dausset et J. J. Van Rood. Membre associé de l'Académie des sciences française et de nombreuses sociétés et académies étrangères.

Baruj Benacerraf

Né en 1920 à Caracas (Venezuela), il opte en 1943 pour la nationalité américaine. Études à Paris (lycée Janson-de-Sailly). Fréquents séjours en France ; épouse la nièce de Jacques Monod. De 1948 à 1950, chargé de recherches à l'hôpital Broussais. Professeur de pathologie à l'université de New York (1956-1968), puis chef du département d immunologie à l'Institut national des maladies allergiques et infectieuses de Bethesda, près de Washington. Professeur de pathologie comparative et chef de l'unité de recherche immunologique à l'université Harvard de Boston, il devient en 1980 directeur du centre anticancéreux du Peter Bent Brigham Hospital de Boston.

Économie

Le prix Nobel de sciences économiques — qui n'a pas été fondé, comme les autres, par Alfred Nobel lui-même, mais, à la mémoire de ce dernier, par la banque d'État de Suède, en 1968, — consacre les travaux du principal créateur et défenseur des modèles économétriques. Un tel modèle est une représentation simplifiée et formalisée de la réalité. Il est constitué d'un ensemble d'équations qui expriment les comportements des agents économiques et les mécanismes institutionnels. Par les possibilités qu'offre le traitement mathématique, les modèles sont les outils les plus efficaces pour prendre en compte les interdépendances complexes à l'intérieur d'une économie nationale. Un ensemble théorique, l'économétrie, qui utilise des méthodes statistiques, permet de vérifier la validité des relations postulées et d'en évaluer numériquement les coefficients. En dépit de leur nature simplificatrice, les modèles économétriques sont suffisamment complexes pour n'être devenus véritablement opérationnels que grâce au développement de l'informatique. Les premiers modèles établis par Klein visaient surtout à vérifier la théorie keynésienne. Devenu professeur à la célèbre Wharton School of Economies de l'université de Pennsylvanie, Lawrence Klein y a construit en 1967, en coopération avec M. K. Evans, un modèle utilisé non plus seulement à des analyses rétrospectives, mais à des fins de prévision. Peu après, Lawrence Klein a lancé le projet Link (lien), qui vise à la construction d'un modèle mondial reliant les modèles économétriques nationaux et prenant ainsi en compte les interdépendances entre pays. La Banque mondiale, l'OCDE, la CEE utilisent des modèles dérivés de Link. En France, l'utilisation de modèles à des fins de prévision et de décision économiques a été introduite vers le milieu des années 60 par l'INSEE et la Direction de la prévision. L'économétrie est présente dans la recherche universitaire, notamment à l'université de Nanterre, dont Lawrence Klein a été fait docteur honoris causa en 1979. Un centre créé par le CNRS, le GAMA, a élaboré plusieurs modèles. Il est dirigé par le professeur Raymond Courbis, co-responsable, avec Lawrence Klein, de l'organisation d'un séminaire franco-américain CNRS-NSF (National Science Foundation) sur les modèles économétriques. Depuis quelques années, les pays de l'Est s'engagent également dans la voie de la modélisation économétrique. Celle-ci se heurte cependant, notamment en France, à des critiques qui mettent en cause sa fiabilité en matière de prévision.

Lawrence Robert Klein

Américain. Né en 1920 à Omaha (Nebraska). Études au Massachusetts Institute of Technology. Dès 1943, à l'âge de vingt-deux ans, publie son premier article, suivi de beaucoup d'autres, dans la revue de la Société d'économétrie, qu'il présidera en 1960. Maître de conférences à l'université du Michigan (1950-1954). Chargé de recherches, puis chargé de cours à l'université d'Oxford (1954-1958). Depuis 1958, professeur à l'université de Pennsylvanie. En 1977, président de l'American Economic Association. Conseiller économique de Jimmy Carter pendant sa campagne électorale, il entre comme conseiller à la Maison-Blanche mais démissionne peu après, en désaccord avec la politique anti-inflationniste de l'administration, à laquelle il préfère un contrôle préventif des prix. Principaux ouvrages : Essai sur la théorie de la prévision économique ; La révolution keynésienne.

Chimie

Alfred Nobel eût été surpris si on lui avait prédit que son prix de chimie couronnerait un jour des recherches qui lui auraient semblé relever de la biologie. L'extraordinaire progrès accompli en deux décennies dans la connaissance de la matière vivante aboutit à la rencontre de disciplines naguère aussi distinctes que la génétique, la biologie moléculaire, la chimie des acides nucléiques. Après avoir reçu une première fois le prix Nobel de chimie en 1958 pour avoir montré que les protéines sont des séquences d'acides aminés et élucidé celle de l'insuline, Frederick Sanger s'est intéressé aux acides nucléiques — ADN et ARN — mettant au point des techniques de plus en plus fines pour déterminer l'enchaînement de leurs éléments constitutifs, les bases. Mis en œuvre par lui-même ou par d'autres chercheurs, ces procédés, fondés sur le marquage des acides nucléiques au phosphore radioactif, ont permis par exemple d'établir la séquence des signaux d'initiation et de terminaison de la synthèse protéique sur l'ARN messager, puis d'élucider la séquence totale d'un virus à ARN. S'attaquant ensuite au problème, jugé alors pratiquement insoluble, des séquences d'ADN dans les chromosomes, Sanger a inventé une technique enzymatique dont le premier succès fut l'élucidation de la séquence d'un virus à ADN ne comprenant pas moins de 5 386 nucléotides. Cette entreprise a été poussée encore plus loin par Walter Gilbert. Après avoir apporté une preuve expérimentale à la théorie de l'opéron formulée par Jacob et Monod, prix Nobel 1965, Gilbert, aidé de son collaborateur Maxam, a trouvé des réactions chimiques interrompant spécifiquement la chaîne d'ADN aux points correspondant à l'une des quatre bases composantes (adénine, thymine, guanine, cytosine). Ce fut le début d'une véritable explosion mondiale dans l'étude des gènes, à laquelle participent de nombreux chercheurs, dont Sanger. Comme les deux premiers lauréats, Paul Berg a commencé par étudier les protéines, notamment les enzymes responsables de l'activation des acides aminés. Passant de la bactérie à la cellule eucaryote (pourvue d'un noyau), Berg utilise le virus SV40 comme un outil privilégié de l'expression des gènes. Fabriquant des lignées de virus à matériel génétique modifié, il a produit, au début des années 70, des virus hybrides porteurs du gène bactérien qui contrôle le métabolisme du galactose (l'enzyme qui remplit cette fonction est absente de certaines cellules humaines chez les malades atteints de galactosémie). Ainsi est née l'idée de transférer l'information génétique d'un organisme à l'autre, qui aboutit aujourd'hui à l'essor du génie génétique. Berg fut l'un des premiers à envisager les dangers possibles de manipulations non contrôlées. Il a participé à la mise au point des règlements en vigueur.

Paul Berg

Américain. Né en 1926 à New York. Docteur de l'université de Western Reserve. Biochimiste à l'université Washington de Saint Louis. Professeur associé à l'école de médecine de Saint Louis (1957-1959) et, depuis 1959, professeur de biochimie à l'université Stanford de Californie. Lauréat du prix de biochimie Eli-Lilly (1959). Membre de l'Académie américaine des sciences et de la Société de biochimie dont il a été le président. En juillet 1974, co-signataire de la lettre publiée dans la revue Science pour attirer l'attention des chercheurs sur les risques éventuels des nouvelles techniques de manipulations génétiques, lettre qui fut à l'origine de la réunion d'un congrès spécial à Asilomar (février 1975) et du moratoire des recherches. Depuis, Berg a réalisé des hybrides moléculaires, y compris dans des cellules de singe.

Walter Gilbert

Américain. Né à Boston en 1932. Biologiste moléculaire diplômé de l'université Harvard. Docteur de l'université Harvard (1937). Professeur assistant de physique à Harvard (1959-1964), professeur associé en biophysique (1964-1968) de l'Académie des sciences en biologie moléculaire à Harvard et dans la même discipline à la Société américaine du cancer. Lauréat de l'Académie des sciences américaine (1968), de l'Académie des sciences française (1977), du prix Albert-Lasker (1979).

Frederick Sanger

Britannique. Né en 1918 à Rendcomb. Études à l'université de Cambridge (Grande-Bretagne), où il entre en 1940 au laboratoire de biochimie. Depuis 1961, travaille au laboratoire de biologie moléculaire du Médical Research Council de Cambridge, où il dirige la section des protéines. Membre de nombreuses académies des sciences. Une première fois prix Nobel de chimie en 1958 (séquence de l'insuline). S'intéresse ensuite aux nucléotides, détermine pour la première fois la séquence d'un bactériophage (le φ χ 174). Prix Albert-Lasker (1978).

Physique

Comme presque toutes les années précédentes, les lauréats sont des physiciens des particules élémentaires. Leurs travaux expérimentaux ont montré qu'une symétrie longtemps tenue pour fondamentale est violée dans certaines interactions faibles. Déjà, en 1956, Lee et Yang avaient découvert que la parité P, ou symétrie d'espace, n'était pas conservée dans les interactions faibles. Ce qui, formulé sommairement, revient à dire que la nature peut distinguer la droite de la gauche. La découverte leur valut l'année suivante le prix Nobel. Puis, on s'aperçut que la symétrie n'était pas davantage respectée dans l'opération dite « conjugaison de charge C », qui consiste à échanger une particule pour son antiparticule. Du moins, on continuait à penser que la symétrie était conservée dans la transformation CP, qui consiste à effectuer les deux opérations en même temps. Les deux lauréats ont entrepris de le vérifier en 1964, en montant une expérience délicate (en coopération avec Christensen et Turlay, celui-ci un chercheur français de Saclay qui se trouvait alors aux États-Unis). La désintégration, par interaction faible, d'une particule appelée kaon (ou méson K) neutre permet de distinguer, d'après leur masse et leur durée de vie, un kaon neutre long et un kaon neutre court. Cette désintégration produit des pions (ou mésons π), et la théorie indique que, si CP est bien conservée dans la désintégration du kaon neutre long, la réaction ne peut donner deux pions. L'expérience consista donc à obtenir un faisceau très pur de kaons neutres longs et à détecter le produit des désintégrations. Le résultat fut inattendu : dans 1 événement sur 1 000 apparaissaient deux pions. D'autres expériences, avec des techniques variées et d'autres chercheurs, ont confirmé ce résultat. Une des hypothèses explicatives proposées fait appel à une interaction superfaible, qui entraînerait d'autres violations de CP dans certains autres phénomènes, mais avec des ordres de grandeur trop faibles pour être actuellement vérifiables. Un des effets concernerait l'égalité de deux réactions inverses, c'est-à-dire la symétrie dans l'inversion du temps, qui est un théorème de la physique quantique Les développements théoriques actuels qui prévoient une unification de toutes les interactions par leur convergence aux énergies très élevées (Journal de l'année 1979-80) pourraient donner une importance cosmologique à la violation de la symétrie CP. Associée à une éventuelle possibilité de désintégration du proton, elle rendrait compte de la non-symétrie observée dans notre Univers entre matière et antimatière, et rendrait caduques certaines hypothèses sur l'existence de galaxies d'antimatière.

James Watson Cronin

Américain. Né à Chicago en 1931. Études à l'université de cette ville. Chercheur au Brookhaven National Laboratory (1955-1938). Enseigne ensuite à Princeton, où il devient professeur de physique (1965-1971). Depuis 1971, professeur de physique à l'université de Chicago. Outre ses recherches sur la non-symétrie de la parité et de la conjugaison de charge, il a participé à la mise au point des chambres à étincelles (un des systèmes de détection des événements dans le monde des particules), il a étudié les interactions des mésons π et les désintégrations des hypérons. Membre de l'Académie des sciences américaine.

Val Logsdon Fitch

Américain. Né en, 1923 à Merriman (Nebraska). Études à la McGill University et à la Columbia University, où il prépare sa thèse. En 1954, rejoint le corps enseignant de l'université de Princeton, où il devient professeur de physique en 1960. A notamment étudié les raies d'émission des atomes artificiels (dits « muoniques ») dans lesquels on a remplacé un électron par un muon (particule de même charge que l'électron, mais plus massive), ce qui l'a conduit à une mesure plus précise du rayon du noyau, — ainsi que l'interaction faible. Membre de l'Académie des sciences américaine, il a été, de 1970 à 1973, membre du conseil scientifique placé auprès du président des États-Unis.

Recherche

VIIIe plan : coup d'accélérateur en faveur de l'effort scientifique et technique

Le rapport du Comité de la recherche mis en place pour préparer le VIIIe Plan, publié le 7 juillet 1980, souligne avec inquiétude la diminution de l'effort français au cours de la dernière décennie : de 2,3 % de la production intérieure brute (PIB) en 1968, il est passé à 1,8 % en 1973, très inférieur à ce qu'il est en Allemagne fédérale et au Japon. Quant aux effectifs, s'ils ont repris leur progression pendant le VIIe Plan, les moyens, par chercheur, ont fortement diminué, ce qui réduit l'effet favorable des créations de postes.