Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Gunter Grass voit dans la pérennité de la langue la seule garantie d'une identité allemande, dont il s'efforce de restaurer l'existence symbolique dans Une rencontre en Westphalie : 1647, en pleine guerre de Trente Ans, les principaux représentants de la littérature baroque se réunissent dans une auberge pour échanger de doctes propos, faire ripaille et tirer des plans sur la comète... En dépit de la truculence du ton, de la bonne santé communicative de l'auteur, ce roman historique ne semble avoir gardé de l'époque baroque que le goût de l'artifice (le refus de von Hofmannsthal de reconstituer un style d'époque nécessairement factice rend sa nouvelle La lettre de lord Chandos autrement attachante).

Dispersion

La latinité serait-elle l'objet d'une soudaine désaffection de la part des éditeurs : peu de titres et, hormis le dernier Calvino (Si une nuit d'hiver un voyageur), seul Frères de Carmelo Samonà mérite de retenir l'attention : ce roman de l'aventure intérieure met en scène le cheminement dans la maladie et l'aliénation de deux frères, un huis clos ritualisé dans un appartement désert ; le pendant italien de La folie du jour de Blanchot.

Le roman latino-américain marque aussi un peu le pas : quelques découvertes, l'Argentin Juan José Saer (Les grands paradis), le Péruvien Alfredo Bryce-Echenique (La passion selon San Pedro Balbuena) et surtout des confirmations, la Brésilienne Clarice Lispector (Agua viva), le Cubain José Lezana Lima (Dador, une suite poétique) et l'inépuisable Cortazar qui, avec Le tour du jour en quatre-vingts mondes, nous invite à feuilleter un almanach surréaliste plein de photos, le triomphe de l'imagination créatrice et de l'humour.

La Turquie et la Grèce (Aris Fakinos : L'homme qui donnait aux pigeons) sont les étapes ultimes de ce voyage à travers tant de cultures, d'écritures différentes. Déjà, dans Memed le faucon, Yacher Kemal se plaisait à évoquer, non sans nostalgie, la geste du héros turc. Meurtre au marché des forgerons voit s'affronter, s'épuiser, dans une interminable vendetta deux clans également cruels et valeureux ; mais l'histoire n'attend pas, elle avance derrière le dos de féodaux tous à leurs rites de mort. Comme dans Le troupeau, le beau film de Zeki Okten, l'histoire ne galope plus sur les plateaux d'Anatolie, elle clopine dans les faubourgs misérables d'Istanbul, elle est la résistance d'un peuple, la substance d'Un long été à Istanbul, les cinq admirables récits, les cinq chansons désespérées de Nedim Gürsel, auxquels font écho les voix de Nâzim Hikmet (Un étrange voyage) et de Yannis Ritsos (Graganda) : deux poètes de la mémoire populaire, de l'histoire et du mythe, obstinément tournés vers l'avenir, car il n'y a jamais de conclusion...