Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Les modalités de l'accession et du maintien au pouvoir de l'intelligentsia bureaucratique en Hongrie sont le thème de prédilection de Georgy Konrad. Ses romans, Le visiteur, Les fondateurs, et le dernier en date, Le complice, au-delà de leurs qualités littéraires révèlent un singulier talent d'observateur de l'influence des conflits et des crises de la société hongroise, avant et après 1956, sur les destins individuels. Le complice, à l'instar du film Sans anesthésie du Polonais Wajda, présente les vicissitudes de l'itinéraire exemplaire d'un intellectuel d'origine bourgeoise qui n'est pas la victime expiatoire privilégiée d'un pouvoir vindicatif mais plus simplement son « complice », tour à tour persécuteur et persécuté au gré des fluctuations ou des bouleversements politiques et finalement retiré dans un exil intérieur à la fois voulu et subi. L'essai de sociologie de G. Konràd et I. Szélényi, La marche au pouvoir des intellectuels, propose des analyses et des conclusions qui ne manqueront pas de surprendre.

L'art de Milan Kundera est moins didactique et moins positiviste, la part de l'absurde fait corps avec le sort du narrateur de La plaisanterie (nouvelle traduction revue par l'auteur) ; l'équation entre plaisanterie et années de travail forcé résume significativement l'époque, fait (l')histoire. La virulence critique du propos s'en trouve accentuée dans la mesure où l'indignation va au-delà de la recherche des responsabilités individuelles et met en question un système qui « marche tout seul » et broie avec discernement.

Figures

N'est pas Hasek (Dernières aventures du brave soldat Chveïk) qui veut ou prétend s'en souvenir et ce n'est pas de satire ni de sens de l'absurdité significative dont il faut parler au sujet de Voïnovitch (Le prétendant au trône ou les nouvelles aventures du soldat Tchonkine) mais de bouffonnerie. Quelle assez piètre littérature les officines occidentales de la « dissidence » nous ont fait ingurgiter ces dernières années ! Il est vrai qu'elles nous ont aussi ouvert de grands livres. Kolyma de Varlam Chalamov est l'un de ceux-là. Aucune emphase dans cette suite de récits de la vie des camps, mais une défiance extrême à l'égard du pathétique, un ton mat avec, ici ou là, lacérant les pages de ce constat, de ce don du savoir, des images fulgurantes ; Kolyma : « un manuel de résistance des matériaux appliqué à l'homme » pour reprendre la belle expression de Siniavski dans la préface de ce premier tome des œuvres de Chalamov ; une voix à laquelle il faut être attentif.

Siniavski, quant à lui, signe sous le nom d'Abram Tertz un conte fantastique comiquement funèbre (un hommage à Hoffmann dont il faut signaler la publication en cours des œuvres complètes), une sorte de parabole de la vocation, au sens fort, d'écrivain. Son héros, André-la-poisse, est à la littérature ce que le Tambour du roman de Gunter Grass est à l'éthique : l'incarnation d'une exigence absolue qui fait fi des éventuelles catastrophes qu'elle engendre. Terz-Siniavski possède, outre l'imagination du conteur, l'érudition de l'historien de la littérature à qui l'on doit de mieux connaître Gogol.

C'est à un géant de la poésie russe que le formaliste Iouri Tynianov a consacré son dernier roman, paru en 1937, La jeunesse de Pouchkine ; ce gros livre ne couvre que les vingt premières années de la vie de l'auteur d'Eugène Oneguine mais offre un extraordinaire tableau de Saint-Pétersbourg et de l'aristocratie lettrée à la veille de l'insurrection décembriste de 1825, sur laquelle s'ouvre cet autre chef-d'œuvre de Tynianov, La mort du Vazir-Moukhtar.

Poésie

Dans le domaine de la poésie saluons la traduction, une gageure, de trois recueils de Gérard Manley Hopkins (1844-1889) : Poèmes, traduction J. G. Ritz ; Grandeur de Dieu, traduction de J. Mambrino ; Poèmes accompagnés de proses et de dessins, traduits par P. Leyris. Prêtre et philologue, Hopkins puise son inspiration dans la spiritualité sous toutes ses formes. Cette communion mystique avec le monde s'adosse à un formidable travail de recomposition musicale du langage par un bouleversement de la syntaxe et une invention verbale rarement égalés dans la recherche poétique, et pas seulement en Angleterre.