Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

La position de Bertrand Poirot-Delpech est beaucoup plus assurée : il a gravi plusieurs échelons dans la carrière des prix, il exerce une magistrature critique dans un très grand journal, il a de l'intelligence et du talent — et aussi un sens de l'opportunité — et il accédera sûrement bientôt au sénat suprême. Sa Légende du siècle est une fantaisie pleine d'alacrité en marge de l'histoire politique de ce siècle-ci. Il y laisse aller sa fantaisie, qu'il avait un temps bridée par peur de déplaire à la tyrannie du nouveau roman. Comme lui, Raymond Jean, qui doit se retrouver bientôt sur la liste des honorables, guérit de l'obsession de la technique, d'autant qu'il y est aidé par une plus juste conscience de ce qui lui demandent ses choix politiques.

Quelques écrivains brisent d'ailleurs avec la conception étroite et aristocratique ou pédante de la littérature pour se tourner vers le roman populaire Maurice Denuzière, dont les premiers romans conformes au moule de l'époque n'avaient guère attiré l'attention, connaît les grands succès de public avec la série de ses Louisiane ou Bagatelle. Un Pierre-Jean Remy a également un talent d'écrivain populaire, mais il n'en convient pas encore et risque de se gâter par une abondance excessive. Max Gallo, qui a donné le modèle d'un roman de qualité pour grand public avec sa trilogie niçoise, a publié France, qui amorce une nouvelle série. Agostin Gomez-Arcos et Enfant miraculé, après Anna Non, retrouve avec intelligence et talent les sources du mélodrame, tandis que Volkoff voudrait renouer avec la tradition du roman d'espionnage et quelque chose de plus de Graham Greene.

Technique

Il y a sans doute des partis dans notre classe littéraire comme dans la classe politique, mais pour l'instant les objectifs sont assez mal définis. On peut distinguer un parti conservateur et un parti du mouvement, mais en ajoutant que les conservateurs n'ont rien de vivant à conserver, et que les hommes du mouvement ne savent pas où ils vont. Alain Robbe-Grillet, pionnier presque solitaire du nouveau roman depuis un quart de siècle, publie Djinn, un trou rouge entre les pavés disjoints, un court récit qui est encore une fois un exercice de style dont la nécessité pour avancer dans la connaissance des mots et des âmes n'est pas évidente.

Sans rouvrir la querelle publication du nouveau roman, on peut bien constater sa maigreur après tant d'années ; c'est un triomphe de la technique dans un temps qui a mis la technique au premier rang et commence seulement à s'apercevoir que, si les machines sont d'une prodigieuse utilité, elles ne peuvent tout remplacer, à commencer par le machiniste. La lecture des romans de cette école fait penser à ces dessins un peu trop tarabiscotés, où l'on voit un chasseur avancer dans une forêt tandis que la légende demande : « où est son chien », et un examen attentif fait découvrir la silhouette de cet animal dissimulée dans le feuillage... Autre chef de file de l'avant-garde aux maigres groupes, Philippe Sollers a publié son Paradis ; alors qu'il a changé peut-être un peu trop souvent de gourou, il se montre ici disciple un peu attardé et littéral de James Joyce. Marguerite Duras, elle, hors des voies de l'école, poursuit son chemin personnel, en trouvant ou en ne trouvant pas, au coup par coup, la communication avec le lecteur.

Nouvelles

On peut ranger enfin dans une catégorie un peu particulière les auteurs de nouvelles dont on dit toujours qu'ils sont mal aimés. La création d'un prix Goncourt de la nouvelle, qui est allé cette année à Annie Saumont, est à cet égard à double tranchant puisque ce prix reconnaît l'importance de la nouvelle et consacre sa mise à part, son exclusion de la grande course de la littérature d'imagination. Sans oublier les nouvelles de François Sonkin, trois recueils de maîtres du genre déjà connus semblent au premier plan de la production : Le chant du coq, où Daniel Boulanger continue son admirable et patiente exploration de l'humanité concentrée dans une petite ville comme les autres, et pourtant remarquable par ses excentriques dont l'excentricité au fond n'est pas un trait pittoresque, mais le passage à la limite d'une passion, d'une réaction dont nous sommes tous capables. Ce sont des récits limpides qui laissent apercevoir les grandes profondeurs.