Lancé le 11 mars 1981 à l'université de Pristina (capitale du Kosovo) par des étudiants mécontents de la nourriture servie à la cantine, le mouvement se durcit et se politise rapidement. Les revendications d'intendance font place, le 26 mars, aux slogans nationalistes et, les 1er et 2 avril, l'agitation tourne à l'émeute. Ouvriers et paysans se joignent aux étudiants. De véritables batailles rangées opposent les manifestants à la police et à l'armée, appuyées par des blindés.

Le bilan officiel s'établit à 9 morts, tués par balles, dont un milicien, et 257 blessés, dont 133 policiers. Véhicules incendiés, vitrines brisées se chiffrent par centaines. De nombreuses arrestations sont opérées et 660 personnes seront traduites en justice ; l'état d'urgence est décrété pour deux semaines et un important dispositif de sécurité mis en place dans toute la province. Le président du comité de la Ligue des communistes du Kosovo démissionne le 5 mai 1981, et une centaine de membres de la Ligue sont exclus peu après. L'épuration est menée aussi énergiquement dans les milieux enseignants et culturels.

Le 20e plénum du comité central de la Ligue se réunit à Belgrade le 7 mai pour analyser les événements.

Lazar Mojsov, à la tête du parti pour un an depuis novembre 1980, dénonce le « manque de vigilance » de la Ligue. S'il reconnaît que « la mauvaise situation économique crée un terrain favorable au développement des nationalismes » (malgré d'énormes efforts, le Kosovo reste la région la plus pauvre du pays), il affirme surtout que « les activités contre-révolutionnaires ont été orchestrées par un centre étranger agissant sous le nom de parti communiste marxiste-léniniste albanais ».

L'Albanie est visée ; les relations entre les deux pays, nettement améliorées depuis la visite en juillet 1980 — pour la première fois depuis 1948 — d'un membre du gouvernement de Tirana, se refroidissent.

Intransigeance

Appelant tous les communistes à « lutter » non seulement « contre le nationalisme », mais encore « contre toutes les autres conceptions et activités réactionnaires, dogmatiques ou inspirées par le libéralisme », Lazar Mojsov montre aussi la volonté des dirigeants de stopper toute tentative de dialogue avec l'opposition, plus ou moins amorcée par certains responsables.

Ainsi : Aleksandar Grlickov, membre du présidium de la Ligue, qui suggérait que les écrits les plus caractéristiques de la contestation soient reproduits par la presse ; et Stipe Suvar, ministre de la Culture de Croatie, et Franc Setinc, secrétaire de la Ligue de Slovénie, qui s'opposaient aux partisans de la manière forte.

La prise de position de ces contestataires constituait une réponse à la pétition adressée au pouvoir par une centaine d'intellectuels réclamant la liberté d'expression, reconnue par la Constitution, mais refusée par le Code pénal.

Les procureurs des huit républiques et provinces autonomes, réunis le 21 avril, demandent qu'on condamne avec rigueur les « ennemis du pays ». L'écrivain croate Vlado Gotovatz et le poète serbe Gojko Djogo sont arrêtés et poursuivis pour propagande hostile. Une même intransigeance semble se manifester à l'égard des tenants d'un certain libéralisme du système économique, pourtant marqué par une inflation galopante (près de 50 %), une baisse sensible du pouvoir d'achat (7 à 8 %), un endettement extérieur croissant (17 milliards de dollars fin 1980).

Cette situation n'empêche pas une augmentation de 38,7 % du budget 1981 de la Défense, alors que le budget général ne s'accroît que de 27,8 %. Cette décision n'est peut-être pas sans rapport avec les événements polonais, abondamment relatés par la presse, mais très discrètement commentés par les autorités, qui ne rompent qu'une fois le silence pour rappeler solennellement « le droit souverain du peuple polonais à résoudre lui-même ses problèmes » et déclarer que « toute ingérence étrangère ne pourrait avoir que des conséquences négatives ».