Le conflit de Czestochowa (novembre 1980) en est la première grande cristallisation. Le premier secrétaire et le voïvode décrètent l'état d'urgence et le quadrillage militaire de la ville, provoquant ainsi une crise aiguë. La branche régionale de Solidarité ne compte pas encore de gros effectifs, mais sa détermination et les multiples preuves d'incompétence et de corruption fournies contre les deux fonctionnaires entraînent leur chute.

Ainsi commence une série de conflits qui, au fil des mois, se succèdent en de nombreux points du pays. À chaque fois, les militants de Solidarité exigent la démission ou la révocation de certains fonctionnaires de l'État ou du parti, présentent des revendications syndicales et manifestent leur souci de défendre les statuts de Solidarité. À Bielsko-Biala (janvier-février 1981), la base obtient par la grève la révocation d'une vingtaine de directeurs d'usine.

Crise

Mais le gouvernement refuse la démission de cinq hauts fonctionnaires locaux. Le conflit prend alors une dimension nationale. L. Walesa lui-même appelle à l'occupation d'usines, au cas où le pouvoir userait de la force pour réduire les syndicalistes. Ce sont finalement les bons offices du secrétaire de la Conférence épiscopale, Mgr Dobrowski, qui dénouent la crise.

Même situation explosive à Radom, en mars 1981. Située à 100 km de Varsovie, la ville a été en juin 1976 le théâtre de manifestations violentes contre la hausse des prix. La répression brutale qui s'ensuivit avait amené une vingtaine d'intellectuels à créer le KOR, pour soutenir financièrement et juridiquement les ouvriers emprisonnés.

Avec l'arrestation, le 5 mars 1981, de Jacek Kuron, c'est le passé qui revient à la surface. Il y a la dette d'honneur contractée par les ouvriers à l'égard de ce fondateur du KOR, mais surtout le fait que les responsables de la répression de 1976, non contents d'être toujours en place, cherchent par tous les moyens à intimider les 70 % des ouvriers de la ville syndiqués à Solidarité.

Matraques

Excédés, ceux-ci exigent sous la menace de la grève le départ du voïvode, du premier secrétaire et du commandant de la milice, et des sanctions contre certains miliciens particulièrement compromis dans la répression de juin 1976. Finalement, le vice-Premier ministre, Mieczyslaw Rakowski, plaidant le délabrement économique du pays, obtient un compromis.

Mais, le 19 mars, à Bydgoszcz (300 km au nord-ouest de Varsovie), éclatent de violents incidents qui sont le point culminant de tous les affrontements survenus depuis cinq mois. Ce jour-là, dans les locaux de la préfecture, se tient une réunion du conseil régional, en présence du vice-Premier ministre Stanislas Mach. Y assistent les représentants de Solidarité, soutenant la revendication des agriculteurs privés, qui occupent depuis trois jours le siège de la section locale du parti paysan, inféodé au POUP.

Soudain, une centaine de miliciens et de fonctionnaires de la police politique font irruption et évacuent les occupants à coups de matraque, frappant aussi bien les syndicalistes que le représentant du primat de Pologne.

C'est la stupeur. Si les autorités locales ont enfin laissé tomber le masque, c'est qu'elles jugent le contexte favorable. Le chef du gouvernement, le général Jaruzelski, est occupé par les manœuvres du pacte de Varsovie. Le premier secrétaire, S. Kania, est à Budapest, où Janos Kadar le soutient dans sa volonté de reprise en main, et le vice-Premier ministre Jagielski est à Moscou pour engager des négociations économiques.

Antagonismes

Mais la provocation des autorités de Bydgoszcz a le triste mérite de poser brutalement l'alternative que le pouvoir central esquive depuis des mois. Ou le gouvernement et le parti conduisent le renouveau polonais dans l'ordre, ou ils le subissent et, tôt ou tard, le pays basculera, entraînant l'intervention soviétique.

Au sein du parti, les antagonismes sont tels que l'éclatement peut se produire, ouvrant la brèche au Kremlin. Les durs de l'appareil se raidissent d'autant plus que les militants de la base réclament vigoureusement un congrès extraordinaire, institutionnalisant le renouveau. Dès novembre 1980, on recense cinq villes (Lodz, Torún, Radom, Katowice, Cracovie) où se met en place une coordination horizontale des sections d'entreprise et de quartier du POUP, qui permet d'échapper à la tutelle de la hiérarchie.