Journal de l'année Édition 1980 1980Éd. 1980

Social

Déstabilisation des alliances syndicales et piétinement des négociations

Les relations sociales de ces douze derniers mois sont marquées par la dégradation des rapports entre syndicats. Les convergences évidentes de leurs intérêts à propos de la Sécurité sociale, de l'emploi ou des bas salaires n'évitent pas l'échec de toutes les tentatives d'unité d'action. Tandis que certains conflits longs et durs témoignent du réel mécontentement des salariés, les journées d'action syndicales ne débouchent que sur des débrayages symboliques et les rituels défilés.

Sans doute, la baisse générale des effectifs justifie-t-elle la thèse d'une crise du syndicalisme, traumatisé par l'échec de la gauche en 1978, mais surtout celui-ci apparaît comme incapable d'imaginer des revendications plus compatibles avec les contraintes économiques, et de proposer un style d'action nouveau et mobilisateur. Cependant, le succès spectaculaire enregistré par les grandes centrales aux élections prud'homales du 12 décembre 1979 atteste de la confiance que leur accordent les salariés.

Du côté patronal et gouvernemental, le contraste est vif entre le discours exaltant les vertus de la concertation et les refus de négociation. Au-delà des aspects tactiques, ce décalage entre le discours et la réalité témoigne d'une absence d'autorité réelle du patronat sur les chefs d'entreprise et du conservatisme politique d'une majorité peu soucieuse de concrétiser les orientations esquissées par le président de la République.

Reproches

Passé le choc immédiat de la défaite de la gauche en 1978, CGT et CFDT esquissent un rapprochement et signent un nouvel accord interconfédéral le 17 septembre 1979. Avec prudence, les deux organisations semblent s'orienter vers des actions communes professionnelles et régionales. Dès octobre, plusieurs journées sont préparées : dans la métallurgie, la chimie, lé pétrole, chez les cheminots. La CFDT envisage même un élargissement de l'unité d'action à la FEN et à la CGC. Mais très vite les polémiques surgissent à nouveau, aussi bien à propos des thèmes revendicatifs et des formes de lutte qu'au sujet du parti communiste.

À la CFDT qui lui reproche de « faire du spectacle », la CGT réplique que le « recentrage » des cédétistes dissimule leur glissement à droite. Edmond Maire souligne, le 18 octobre, que « les attitudes du PC interfèrent négativement » dans les relations entre les deux centrales. Georges Séguy riposte, le 11 novembre : « le secrétaire général de la CFDT a la fâcheuse propension de saisir toutes les occasions pour faire de l'anticommunisme ». Très vite, la dégradation se poursuit sur deux plans : l'action revendicative et l'attitude à l'égard des partis politiques.

Divergences

Après la journée interprofessionnelle du 14 novembre pour la réduction du temps de travail, inégalement suivie par les salariés, la CGT affirme que les consignes auraient été plus suivies si elles avaient été « mieux prises en charge par toutes les organisations de la CFDT ». De même, après l'échec des grèves de l'automne dans la métallurgie (à Usinor-Denain, à Longwy), la CFDT estime-t-elle que ses rapports sont « au pire » avec la CGT. Pour la CGT, le diagnostic est clair. Pour son secrétaire confédéral, René Lomet, qui s'adresse en janvier 1980 au Comité national, « la CFDT tourne de plus en plus le dos à la lutte des classes pour s'enliser dans les ornières des chemins de la collaboration des classes ».

Aussi, sauf pour la journée de protestation du 13 mai sur la Sécurité sociale, les deux confédérations multiplient-elles leurs désaccords : tandis que la CFDT met l'accent sur l'action dans l'entreprise, la CGT multiplie les mots d'ordre de journées professionnelles ou nationales d'action, davantage caractérisées par des débrayages symboliques que par des arrêts de travail prolongés. Alors que la CFDT met l'accent sur les bas salaires et les conditions de travail, la CGT reste fidèle à la défense globale du pouvoir d'achat et de l'emploi.

Le PC dénoncé

Les reproches d'Edmond Maire accusant le parti communiste de faire obstacle au développement de l'action syndicale trouvent un écho dans les rangs mêmes de la CGT. Des militants cégétistes membres du parti socialiste dénoncent le PCF qui « démolit la CFDT et limite l'accord conclu entre les deux confédérations ». La tension monte d'un cran fin 1979 lorsque le parti communiste essaye d'entraîner la CGT dans sa protestation contre les euro-missiles que les Américains veulent installer en Allemagne. Surtout, au moment de l'invasion soviétique de l'Afghanistan, trois dirigeants pourtant membres du PCF (C. Gilles, J. Moynot et M. Gévaudan), rejettent, le 8 janvier, la position de la commission exécutive, instance d'une centaine de membres, qui n'avait voulu ni approuver ni condamner l'intervention de l'armée rouge. Une déclaration au Monde d'une dirigeante de l'UGICT (cadres CGT), Jeanine Parent, critiquant la position communiste, est condamnée par son organisation. De son côté, André Henry, secrétaire général de la FEN, accuse les communistes « d'avoir poignardé l'espérance des travailleurs en 1978 ».

Cavalier seul

Dès lors, toutes les rencontres entre la CGT et la CFDT échouent. Le 29 janvier 1980, l'accord de septembre est officiellement rompu. Le 1er mai, chaque confédération organise ses manifestations, malgré une initiative de rapprochement de la FEN. Progressivement, la CGT fait cavalier seul et, durcissant le ton, cherche à rassembler le maximum de mécontents sur ses mots d'ordre ; aucun autre système d'alliance ne s'établit entre les autres confédérations. FO refuse de rencontrer la CFDT. À propos du droit d'expression des salariés dans l'entreprise, André Bergeron s'écrie : « Comme nous avions raison, lorsqu'il y a des années nous affirmions que l'autogestion conduisait à la pagaille générale. »