Cette dernière est l'objet de leur morosité. Enfant terrible de la reproduction phonographique, son marché connaît un certain accroissement du fait de la multiplication des équipements (surtout dans le secteur automobile), mais sa maniabilité en fait un instrument de choix pour les copieurs. De la copie privée, que chacun peut faire chez soi pour disposer du succès du jour, à la duplication pirate, le commerce du disque éprouve de plus en plus les effets d'un progrès qui se retourne contre lui. L'État, par la voix de Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication, se montre décidé à combattre les pirates. Au mois de mai, des poursuites sont engagées contre des ateliers de duplication et des stocks clandestins découverts dans les Yvelines. Le marché du son et de l'enregistrement connaît une étape difficile et l'on pense sérieusement à taxer le prix de la cassette vierge qui serait reversée, sous forme de royalties aux firmes éditrices.

Rentrées remarquées

La saison 1979-1980 n'est pas sans événements qui émaillent l'actualité du refrain et du récital. Nana Mouskouri (C'est mon histoire) fête à l'Olympia ses vingt ans de chanson, Johnny Halliday (Ma gueule) triomphe au Pavillon de Paris dans un show qui ravit ses fans. Peu avant les fêtes de fin d'année, le jeune Philippe Chatel (Mister Hyde) compose un conte musical pour les enfants ; Émilie jolie, interprété par les plus prestigieuses gloires du 33 tours (Georges Brassens, Henri Salvador, Alain Souchon, Julien Clerc), remporte un succès considérable : 250 000 exemplaires de cet album sont vendus à Noël.

Certains retours font chaud au cœur et aux oreilles : celui de Georges Moustaki, fraternel, dans un Olympia qui lui fait fête (Et pourtant dans le monde) ; celui de Catherine Sauvage, qui rend un hommage au répertoire de Léo Ferré ; celui, au Théâtre de la Ville, de Béatrice Arnac, sensuelle interprète des poètes, célèbre aux États-Unis comme en URSS ; celui des Frères Jacques, savoureux baladins qui, au terme de 35 ans de carrière, décident d'arrêter leurs pérégrinations d'interprètes émouvants de Prévert et de tant d'autres : c'est une page importante de la chanson française qui est tournée.

Pauline Julien, cette Québécoise flamboyante, présente son nouveau tour de chant au Petit Forum des Halles, à Paris au mois de février, tandis que Gilles Vigneault entreprend une tournée dans 40 villes de province. L'Argentine Mercedes Sosa rassemble les exilés et les défenseurs des droits de l'homme au Théâtre de la Ville, et Paco Ibanez, qui surprend le grand public avec son disque de chansons de Brassens interprétées en castillan, remplit la salle de Bobino pendant plusieurs semaines.

Autre retour remarqué, celui de Serge Gainsbourg. Sur un disque imprégné des rythmes reggae venus de Jamaïque, il propose une Marseillaise qui réjouit les familiers du Palace, à Paris, mais contrarie militaires et anciens combattants : à Strasbourg, où Rouget de Lisle créa l'hymne célèbre, l'artiste préfère éviter les incidents et retire du programme sa trop célèbre adaptation. Gainsbourg n'est pas le seul chanteur à défrayer la chronique. Le chanteur Daniel Balavoine fait sensation au journal télévisé d'Antenne 2 midi, le 21 mars 1980, en déclarant nettement à François Mitterrand que les jeunes n'aiment ni la politique ni les manœuvres dont elle fait son pain quotidien.

Révélation

Le chef d'orchestre Jean-Claude Vannier, arrangeur de tant de vedettes, décide d'interpréter lui-même sa musique. Au théâtre du Ranelagh où il se produit au mois de mars, il fait figure de révélation (Petite musique d'ennui). Le jeune Bill Deraime se risque devant le public de la Cour des miracles avec ses blues authentiques écrits en français : le succès est tel qu'il doit y revenir en juin.

En juin aussi se produit dans plusieurs villes Angelo Branduardi : ce bon géant frisé, passionné de poésie et de musique ancienne, brise d'un seul coup l'image figée du chanteur italien débiteur de canzonetta. Musicien exigeant, interprète populaire, Angelo Branduardi chante en italien et en français un répertoire d'une grande délicatesse et d'une douce musicalité (La demoiselle, À la foire de l'est, Va où le vent te mène).