Si ces trois groupes représentent le versant chaud de la musique pop actuelle, le versant froid pourrait être ce courant venu du Nord (de l'Angleterre) qui, avec Orchestral Manœuvres, ou Gang of Four, donne un nouveau souffle au synthétiseur et aux divers instruments électroniques plus ou moins fabriqués à la maison. C'est l'heure des bricoleurs de génie, des manipulateurs de bandes magnétiques, des sorciers du fer à souder. Le résultat est souvent intéressant, comme ont pu le constater les habitués du club Bains Douches au cours de l'automne 1979.

Si l'Angleterre bouge beaucoup, la France n'est pas en reste. Elle connaît même la vague de rock la plus extraordinaire depuis celle qui déferla au début des années 60. Certes, tout n'est pas d'une qualité fantastique, mais de ce grouillement de tendances et de groupes devraient bien jaillir quelques phénomènes. Il faudra pour cela dépasser des problèmes de jeunesse qui sont autant de graves handicaps : production bâclée, manque de professionnalisme, show business glouton qui jette sur le marché des groupes à peine rodés pour profiter de la mode.

Malgré cela, beaucoup de talents prometteurs sont apparus ces derniers mois. De Rennes est arrivé Marquis de Sade, groupe qui réussit la synthèse de divers courants importants ayant traversé le rock. Avec leur jeu de scène élaboré et leurs textes intelligents, ils paraissent voués à un riche avenir. De Lyon viennent les Starshooter, les Garçons, Electric Callas, créateurs d'une pop music sophistiquée, sinon, parfois, raffinée. Ils chantent tous en français, prouvant par là que l'on peut très bien utiliser notre langue sur des rythmes syncopés.

Pour le groupe Trust, le français est même essentiel pour faire passer son message contestataire, branché sur l'actualité. Ils ont joué à la prison de Fleury-Mérogis en janvier. On leur a toutefois déconseillé d'y chanter leur morceau de bravoure, Mesrine. Bijou s'est également produit à Fleury (en juin). Une politique de concerts qui se veut plus proche du grand public, de ses aspirations et de ses déboires.

Rock français

Pourtant, malgré son succès, le rock français est encore largement boudé par les médias. La presse spécialisée préfère souvent les valeurs sûres anglo-saxonnes. Et le show biz torpille les initiatives les plus encourageantes. Ainsi le festival de Baltard s'est-il déroulé dans des conditions curieuses : seuls les groupes anglais étaient payés et pouvaient effectuer leurs essais de sono dans de bonnes conditions. Quoi qu'il arrive, le rock national est toujours considéré comme un parent pauvre, méprisé avant d'être récupéré, saboté au profit des sempiternelles idoles des jeunes. C'est d'autant plus dommage que, pour la première fois de son histoire, cette musique connaît enfin une certaine consécration à l'étranger, comme en témoignent les tournées de Téléphone en Angleterre et aux USA, de Starshooter en Italie et de Marquis de Sade à travers l'Europe.

Si l'on traverse l'Atlantique, on constate un marasme dans le show-business américain, qui s'essouffle à chercher des répliques présentables aux excellents groupes britanniques qui envahissent son territoire. Seules les valeurs établies depuis longtemps, comme Frank Zappa (à Paris en juin) ou le J. Geils Band (en mai), peuvent faire oublier le pire. Toutefois, New York reste un étonnant centre de créativité, un carrefour où se retrouvent les musiciens du monde entier, où les producteurs s'affairent autour des rares véritables talents originaux de cette partie du monde : les Talking Heads (en janvier), Devo, James Chance (en avril) ou ces incroyables zombies qui refont le rockabillie à leur image, perverse et dégénérée, les Cramps (en mars).

Dernier refuge

New York, c'est aussi l'un des derniers refuges du jazz — et sans doute le creuset d'où il renaîtra un jour. Les ateliers désaffectés du bas Manhattan, les lofts, abritent une nouvelle génération de musiciens qui, autour de quelques vieux maîtres (Rashied Ali, Richard Abrams, Ron Carter), redéfinissent la musique noire à l'écart des courants et des modes. En France, il n'y a guère que la Chapelle des Lombards, dans l'ancien quartier des Halles, pour accueillir un art de recherche qui rencontre de plus en plus les faveurs du public.